Quel espoir porte la chanson française, quel regard sur le monde d’aujourd’hui ? La question est vaste et un peu vaine tant les approches, les genres, les langues musicales définissent elles-mêmes une façon de voir le monde qui saute aux oreilles et ne nécessite pas forcément de commentaires. La situation étant ce qu’elle est, et à quelques jours de l’élection présidentielle, il n’est pas totalement incongru de remettre en ordre les grandes expressions « sociales » ou du moins « réalistes » qu’on a pu suivre et apprécier ces derniers mois ou ces dernières années. Est-ce parce qu’on n’a pas bien cherché, parce qu’on est nous-même aveuglés par nos filtres ou parce que la chanson reste un creuset gauchiste par nature mais on n’a pas trouvé aujourd’hui comme hier (Sardou ?) de chanteurs exprimant un réel zemmourien ou le Peniste; peu de chanteurs qui prônent le libéralisme, la libre-entreprise ou la retraite à 65 ans.
La France décrite dans les chansons est une France désunie et en crise, une France fracturée et en souffrance mais aussi une France qui prône un retour aux fondamentaux de l’entraide et de l’attention portée aux autres, une France des yeux ouverts et de la diversité. Cette France-là s’exprime avec émotion et fédératrice à travers l’un des titres les plus puissants et amples du moment, Les Loups, d’un Gontard qui avait déjà livré un Plein de Super, comparé en son temps à l’incandescente Odeur de l’Essence d’Orelsan. On la retrouve dans une version voyageuse et évidemment mainstream et plus tarte à la crème dans le Sacré Bordel de Big Flo & Oli, de retour d’oxygénation et qui entendent se ré-appropier le drapeau français.
La version est plus politique, critique, guerrière presque chez Frédo Roman de NON STOP et son Zyklon Bio, sous lequel pas grand chose ne repousse. Tandis que la préoccupation environnementale est bien là, alors qu’elle avait quasi disparue des radars de campagne, on peut écouter Gauvain Sers sur le sujet et quelques autres, ou en appeler à une fugace demande de sens, que réclame une Angèle toujours aussi mignonne et enfantine dans son expression sur l’explicite Plus de sens :
Et j’ai essayé de tenir
Oublier que j’ai peur de l’avenir
C’est pas toujours parfait
J’ai parfois des regrets quand tout est à l’arrêt
Et je ne vais pas vous mentir
La vie sans vous est triste à mourir
Ce que je dis est vrai et si on le pouvait, on se retrouverait
Quand on pourra fêter en grand
Quand on aura retrouvé l’important
Quand ce sera fini d’attendre
Tout prendra du sens
Mais lequel Angèle ? Notre sélection marque le fort impact du mouvement des Gilets Jaunes sur l’univers chansons, tant dans ses aspects revendicatifs et confrontationnels que sur la détresse qu’il exprime. La peur du déclassement s’exprime au moins avec autant de force que le dégoût d’une société qui opprime et accessoirement (c’est l’un des thèmes classiques du rap depuis ses origines) abuse de son pouvoir de police. Chanson de gauche ? Pas certains qu’on en soit encore là, tant s’exprime aussi une forme de défiance (par l’absence) face aux solutions politiques. La chanson n’a jamais eu rien à voir avec un programme politique. Elle ne définit même plus aujourd’hui un univers des possibles et se contente de dessiner un futur fait de mots clés, de solidarité et de bienveillance. Peu précis, diront ceux qui s’en tapent. Suffisamment clair et précis pour savoir toutefois pour qui voter ou ne pas voter.
Quelle est la place de la musique dans les motivations du vote individuel ? Faible sûrement et en constante décroissance. On se dit tout de même qu’aimer ces musiques là appelle à aller dans une direction plutôt que dans une autre : voter en cohérence avec ses goûts musicaux. On ne rêve pas d’autre chose. Si seulement…
1. Gontard – Les Loups
2. Orelsan – L’odeur de l’essence
3. Big Flo et Oli – Sacré bordel
4. Non Stop – Zyklon Bio
5. Gauvain Sers – Y’a plus de saisons
6. Fosse – De vous un rêve
7. T-Sky – Pas plus haut que le vers
8. Gängstgäng – Livraison de Rapaces
9. Angèle – Plus de sens
10. Goune & Stick – Frigo
11. Stick – #Exagone
12. Poupard – Pendant des mois
13. Les Vulves Assassines – Chômeur Branleur
14. Roboy – Notre enfer
15. Chevalien – Bleu Blanc Blood