On s’était promis à la découverte des premiers singles du compositeur Ali Veejay de revenir un peu plus tard sur son premier album éponyme, sorti il y a quelques mois maintenant. Attendre finalement la rentrée, toujours un moment déprimant et propice à la dépression, n’est pas le plus mauvais moment tant l’ancien chanteur d’1=0, qu’on rappelle installé désormais dans l’Ouest, professe une philosophie et une esthétique musicale qui pansent les plaies du moment et procurent un réconfort pour les temps modernes.
Ali Veejay, le disque, sonne ainsi comme une potion magique qui, infusée à haute dose, provoque une étrange sensation de détente et de bien-être. Musicalement, on fait face à ce qu’on appelait jadis du reggae blanc, soit un mélange de folk psychédélique, de DIY acoustique et de rythmiques à deux temps entêtantes et à la simplicité apparente. On pense sur certains morceaux aux petits bijoux maladroits d’Adam Green et des Moldy Peaches, d’autres fois à un Daniel Johnson qui aurait accordé sa guitare ou encore à un Jimmy Cliff du coin du feu, venu ambiancer la soirée entre amis en racontant quelques histoires d’amitié et de rencontres soudaines. Car ce qui frappe ici, c’est la fluidité de l’ensemble. Le disque s’écoule telle une onde claire comme si le chant et l’accompagnement ruisselaient d’une même source. La chanson Doctor en est une bonne illustration, guillerette et sautillante en diable, qui volète de couplet en couplet comme une fable ou une histoire drôle. Il n’y a pas toujours de morale ou de sens évident à ces historiettes par delà leur caractère divertissant ou l’émotion qui les anime.
Running Grl est juste magnifique et agit comme un songe, une vision de beauté, fugace et fugitive. Les claquements de main et la production acoustique donnent le sentiment que ces chansons vont s’évaporer dès qu’on les réécoutera ou qu’on soufflera dessus. C’est ce sens du naturel et de l’éphémère, du fragile et du délicat, que suggère la musique à hauteur d’homme d’Ali Veejay. Heureusement pour l’auditeur, le miracle ne se dissipe pas aussi vite qu’il est venu et peut être ressuscité sur chaque écoute, les morceaux gardant une fraîcheur et une légèreté qui se prolongent au fil du temps. De temps à autre, et encore une fois dans la pure tradition reggae, l’artiste pousse quelques jolies allégories poétiques, comme sur le délicieux Small Fishes où les petits se font grand. Ce qu’il y a derrière est assez transparent mais permet de susciter une réflexion jamais inutile par les temps qui courent. Yogi Grl et Intrusion évoquent des structures plus rock contrariées et viennent dynamiter un ensemble dont le seul défaut est peut-être son caractère inoffensif et son léger manque d’impact.
On ne peut pas tout avoir. En choisissant d’alléger le propos, Ali Veejay a volontairement sacrifié la recherche de spectaculaire et se contente de pousser son avantage en produisant ce que d’aucuns considéreraient comme du « menu fretin » (pour prolonger la métaphore piscicole), c’est-à-dire de petits poissons, luisants, brillants, et vifs comme l’air. Ce n’est pas grand-chose à l’échelle de la pop mais c’est précieux d’avoir ces miniatures, douces et tendres comme le vent, qui se baladent autour de nous. Ali Veejay est un artisan aux semelles de vent, mi-rimbaldien, mi-new-age, qui s’impose comme un bien nécessaire.
02. Doctor
03. Last Long
04. Running Grl
05. Small Fishes
06. Intrusion
07. Yogi Grl
08. Hurt The Sleeping
09. Odio Puro
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