Benjamin Durand et Nico Prat / Oasis ou la revanche des ploucs
[Playlist Society]

7.4 Note de l'auteur
7.4

Benjamin Durand et Nico Prat - Oasis ou la revanche des ploucsIl faudra encore attendre un peu pour un grand livre à la gloire de Oasis en français. On espérait beaucoup de ce Oasis ou la revanche des ploucs au titre très prometteur, cosigné par Benjamin Durand et Nico Prat, deux journalistes et critiques émérites et excellents connaisseurs surtout de l’Angleterre et de sa pop. Mais s’il se lit (trop) bien et repose sur une construction formidablement documentée et (trop) claire, l’exercice est si bien fait et bâti que l’exposé peine finalement à rendre la démesure et l’énergie vive qui caractérise non seulement la musique des frères Gallagher mais aussi toute l’aventure dingue et haute en couleurs du plus grand groupe du monde de l’année… 1995.

Il ne faut pas donner le sentiment de cracher dans la soupe : on a besoin de ce genre de livres et celui-ci, avec sa grosse centaine de pages et sa mise en page aérée, contribue au rattrapage français en matière de culture rock qu’on discutait il y a peu. Il nous faut plus de livres dans ce genre et plus d’analyse de ce calibre. En l’espèce, l’approche de Durand et Prat est exemplaire : cela parle de Oasis mais aussi de l’Angleterre, de musique et aussi de politique, des racines irlandaises du groupe, de la ville où ils grandissent, de leurs origines sociales, du contexte socio-économique qui « permet » (disons ça comme ça) leur émergence dans les conditions qu’on connaît. Autour de ça (mais c’est vraiment l’atout numéro 1 du livre que cette approche socio-historique), les auteurs racontent l’histoire des albums, du groupe, la prise de contrôle de Noel sur le groupe de son frère, des luttes fratricides, de la musique, du succès et des affres qui s’en suivent. Tout y est, bien placé, bien exposé, suffisamment détaillé et en place pour qu’il ne manque rien et qu’on ne s’ennuie pas. Les auteurs décrivent avec une belle amplitude la vague de fond qui porte ce groupe de ploucs mancuniens au firmament de la pop, sur fond d’émergence (ou d’invention) de ce qu’on appellera juste ensuite la brit pop. Tout cela est remarquable et n’oublie pas les racines et influences musicales de Noel et de son frère, constituant un panorama non seulement ultra-détaillé mais finalement assez savoureux de l’ensemble. L’exposé revient ainsi brillamment sur la bataille britpop entre Blur et Oasis comme il tire quelques lignes vers l’histoire musicale de Manchester.

Sauf que… à force de faire œuvre d’historien et d’amener de la connaissance, le livre perd un peu en chair et en corps, en impact et en sueur. L’effet wikipedia (je te fais un plan et je m’y tiens) a ses avantages et ses petits défauts, le principal étant le manque d’émotion et d’attachement au groupe et à ses protagonistes qu’il induit. On aurait aimé que parfois la narration abandonne ses visées didactiques pour un jugement à l’emporte pièce, une prise de position (Liam contre Noel ou l’inverse) : évoquer l’attitude de Liam, son kway et sa coupe de cheveux, ses coups de sang et toute cette folie qui tournait autour de McGee et de Creation. Le livre idéal (sans doute) aurait rendu hommage à la démesure des ambitions d’un Noel, aurait disserté sur les egos et les coulisses, celle qu’un Luke Haines laissait entrevoir dans ses ouvrages. On ne peut pas reprocher aux auteurs d’avoir produit cet immense et remarquable travail d’analyse, mais regretter néanmoins qu’il n’y ait pas plus d’amour, de panache et de « petits faits vrais » qui auraient aussi rendu justice au groupe et à la passion qu’il a pu inspirer. Oasis est-il un phénomène musical ou un phénomène pop, c’est-à-dire un symptôme culturel ? On a le sentiment que parfois le livre hésite.

En cela, ce livre qui a presque tout pour lui laisse à la lecture un arrière-goût de  frustration. Il lui manque un supplément d’âme qui nous aurait bien plu et aurait pu hâter la conversion des mécréants. Cette frustration côtoie toutefois une envie pressante de réécouter les mauvais albums du groupe comme les bons et de se disputer autour d’une bière ou deux avec ceux qui les aiment et ceux qui les détestent. C’est bien là l’essentiel. Le contrat est rempli.

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1 Comment

  1. says: zimmy

    Ma thèse sur le phénomène Oasis, c’est qu’ils étaient le parfait miroir de l’état de la working class anglaise après Thatcher. Plus d’espoir dans la lutte sociale, plus de couverture sociale, des jobs au salaire de misère et du coup tout ce qui reste à faire c’est se défoncer, se saouler au pub et ouvrir sa grande gueule (tels les persos de Trainspotting). C’est pour cette raison que les classes populaires britonnes se sont reconnues dans un type dont son frangin disait: « Il est jaloux de mon talent de songwriter; je suis jaloux de sa capacité à avoir l’air cool en K Way ». (je garantis pas l’exactitude de la citation). Cette question de classe se retrouve dans la rivalité avec Blur présentée par les médias de l’époque comme une opposition avec l’Angleterre des libéraux-libertaires étudiants en architecture. Alors oui, Oasis c’est aussi Noel qui a été génial mélodiste pendant deux ans avant de sombrer, les vocalises éraillées de Liam, un groupe qui a fait du rock sixties sans sonner revival en y injectant un peu de shoegaze, de Smiths et de Madchester. Mais ce seul aspect musical n’aurait pas suffi à leur donner un statut de joyau de la couronne.

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