« Quand j’ai un problème, j’ai une solution. Je vais me coucher et, en rêvant, j’espère qu’une réponse va m’apparaître ». On a toujours un peu de mal à croire que le gars qui écrit ce genre de machins est le même qui a composé I See A Darkness ou Arise Therefore. Will Oldham est amoureux, heureux et plus country folk que jamais. Cela faisait quelques années qu’il ne nous avait pas gratifié d’un album entier de compositions originales. I Have Made A Place est à cet égard un petit événement, même si le compositeur n’a jamais été avare de ses créations.
Le disque est d’une beauté et d’une sérénité insolentes. La musique est contemplative, vaguement luxuriante si l’on considère une pedal-steel et trois banjos, des flutiaux et tous ces machins dont on use à la campagne comme des signes extérieurs de richesse. On pourrait s’attendre à ce que le résultat soit un peu barbant mais il est juste parfait, d’une belle vivacité et porté par un chant convaincu et enjoué. Les morceaux sont brillants à l’image de l’ouverture, New Memory Box, qui invite à ouvrir la boîte à souvenirs et à danser la gigue dans une fin de banquet sortie tout droit du film Le Village. On retrouve l’élégance nostalgique d’Oldham, divinement entouré par un groupe solide et l’apport remarquable de la chanteuse Joan Shelley, sur le superbe Dream Awhile. Il y a, depuis quelques années, chez Oldham un sens du collectif qui donne un caractère chaleureux et bienveillant à sa musique. Le barde raconte quelques histoires sur Look Backward on Your Future ou Look Forward To Your Past. C’est assez démonstratif mais fondamentalement distrayant, tandis que le groupe évolue dans un registre restreint mais inusable. Will Oldham travaille comme un fabuliste et conclut son affaire par une morale à l’ancienne comme s’il s’agissait en plus de nous divertir de nous aider à devenir des êtres humains un peu meilleurs. Les titres d’I Have Made A Place s’enchaînent avec une fluidité assez extraordinaire. On adore I Have Made A Place, l’inquiétude bienveillante de Squid Eye ou le dépouillement religieux de You Know The One. La sécheresse d’Arise Therefore a été remplacée par une forme de pastoralisme aérien et doux qui permet à la musique de nous envelopper et de nous caresser dans le sens du poil. La légèreté apparente ne veut pas dire qu’Oldham est devenu gaga ou incapable d’exprimer autre chose que du contentement. This Is Far From Over est probablement l’une des plus belles chansons écrites par l’artiste depuis un bail.
D’une manière générale, la seconde moitié du disque, plus sobre et sèche que la première, est une excellente surprise qui dessine un territoire chaleureux et harmonieux où il fait bon dériver. Le poète est taiseux mais accueillant à l’extrême. Sa voix raconte les histoires des temps anciens et des temps à venir, tandis que les guitares réconcilient le picaresque et l’intime. L’ensemble est si travaillé et empreint de sérénité qu’on en finirait presque par ne plus regretter l’âpreté et la rudesse d’antan. La voix d’Oldham n’a jamais sonné aussi belle et assurée que sur le magnifique Nothing Is Busted. Elle rayonne sur The Glow Part 3 et transcende l’élégie finale de Building A Fire en une messe sublime et pleine d’amour. « You are making it bright/ We are staying inside, for the rest of the night/ We are humans in love/…/ We are one and the same/And your face is my face/ And your heart is my heart/ And your tongue is my tongue/ And your voice is the voice/ That describes where i am from…. », chante Oldham pour finir. Cette chanson est d’une justesse et d’une beauté stupéfiantes. « Yesterday was a lark. And today was a bear. Tomorrow is an octopus. You can look for me there. You can look for me there. Wont you look for me there ?… ». Will Oldham manie le symbolisme avec le même bonheur que William Blake. Lorsqu’il évolue à ces hauteurs, l’émotion qui se dégage de sa musique est sans comparaison et renvoie le Nick Cave déchiré et transcendant d’il y a quelques mois à ses études. La présence vaut toujours mieux que l’absence, l’amour mieux que son souvenir. C’est ce qu’il faut retenir.
On continuera toujours de préférer le Oldham ténébreux et désespéré des débuts à celui-ci. On a laissé trop de larmes dans le tonneau pour se mettre au jus de fruits exotiques. Mais il y a dans le Oldham solaire et tendre d’I Have Made A Place une lumière si vive et épanouie qu’on ne peut qu’accueillir l’évangile et en ressentir la chaleur avec émotion et bonheur. La musique est un parcours qui se termine parfois ainsi : bien et beau à la fois. Il est temps de changer de religion.