Wavves / Hideaway
[Fat Possum]

8.6 Note de l'auteur
8.6

Wavves - HideawayOn commençait à s’inquiéter pour Nathan Williams dont les dernières nouvelles n’étaient pas bonnes : le chanteur compositeur de Wavves (35 ans) était annoncé en perdition depuis la double sortie en 2015 et 2017, des albums You’re Welcome et V, plutôt mal accueillis (à tort) par la critique. Trop d’alcool, de drogue et d’à peu près tout : l’ensemble alimentant la rumeur d’une décadence artistique annoncée et souhaitée par beaucoup faute de soutenir la hype amorcée en 2008 et entretenue jusqu’au succès phénoménal de l’exceptionnel King of The Beach, qui avait donné lieu en 2020 à une tournée anniversaire. En vieillissant, Williams est passé de mode, même si sa musique n’a jamais cessé d’évoluer, de tâtonner, de grandir, la rage électrique des débuts laissant peu à peu la place à plus de visibilité mélodique et de variété dans l’expression des influences (rock, garage mais aussi blues et grassroots, de manière plus évidente ici). De retour chez Fat Possum, le label des débuts, après un passage par l’auto-production, Williams a profité du confinement pour opérer un retour au domicile de ses parents et rebooter sa petite entreprise et ses neurones de compositeur. Il a brouté des légumes et fumé du thym, fait du sport et mangé bio.

Flanqué de Dave Sitek, le producteur star qui intervient ici directement dans la composition de plusieurs morceaux, et avec ses vieux comparses Stephen Pope et Alex Gates, Williams fait un peu plus que rembobiner la mécanique et courir après son ancienne gloire : il propulse Wavves dans un au-delà garage qui augure d’une mutation aussi évidente que l’avait été la réalisation de King of The Beach en son temps. Et c’est une vraie réussite.

Hideaway démarre comme on pouvait en rêver avec un condensé de ce que Wavves fait de mieux depuis des années : entamer les morceaux pied au plancher et introduire des hooks irrésistibles de quelques secondes sur lesquels repose tout l’édifice. Williams est un parfait branleur. Il n’a jamais accepté de voir au delà de la troisième note, témoignant dans ce registre d’un génie qui n’a eu d’égal peut-être que celui de feu Jay Reatard. Les parole sont malicieuses et gentiment misanthropes. Williams passe le début de l’album à se soustraire à l’influence des gens qui le tirent vers le bas. Il chante remarquablement bien/mal et c’est un bonheur incroyable.

oh I don’t love the people?/  You never even met me before/
Like a terror taking over the earth/
Like an atom bomb/
Like the beauty of a mother at birth/
Like an animal

Difficile d’égaler Wavves quand le groupe se situe à ce niveau. Le morceau éponyme est chanté/craché à la perfection, d’une élégance désinvolte qui ferait passer Kurt Cobain pour un salary man. La fin du morceau (un poil trop long) donne une idée de ce qui va arriver par la suite : la musique de Wavves évolue du surf punk et du champ pop vers un territoire plus rock classique, épousant le même mouvement que celle de son comparse Dylan Baldi de Cloud Nothings, avec un peu plus de subtilité et de grâce. Help Is On The Way est un bon morceau mais qui manque tout de même un peu de dynamique et de potentiel d’accélération. La qualité d’un morceau de Wavves tient, comme les doubles démarrages de Johan Cruyff ou les faux départs de Pavement, à sa capacité à changer de rythme en cours de route et à double-accélérer quand les autres ralentissent.

La mutation rock s’exprime par quelques très bons morceaux qui rappellent la lisibilité électrique des Posies. La production de Sitek renforce la technicité (la froideur) de l’approche et tend à professionnaliser le rendu, en mettant chaque instrument à sa place. On gagne en impact ce qu’on perd en capacité à baver sur les coins. Il y avait au coeur du projet de Wavves l’impression d’un chevauchement permanent des intentions, d’un rendu confus qui permettait à la mélodie de littéralement surfer ou émerger du brouillard. Sitek accentue la clarification des couches. Mais la métamorphose ne s’arrête pas là. Le surf rock du magnifique Sinking Feeling est attiré, par sa section rythmique et un chant bolanien, dans un territoire psyché-rock, troublant et formidable. Le morceau d’apparence badine dissimule un suicide gracieux du haut d’une colline. Wavves va mal mais met fin à ses jours avec un style à tomber. Honeycomb lorgne vers cette même veine du rock californien des 70s avec une habileté proche du prodige. Le texte est magnifique de simplicité et renvoie directement aux premières compositions du groupe :

I feel like I’m dying / I feel like I’m dying /
It’s cool/ It’s great/
Just pretend I’m ok /
Nothing’s wrong /
Nothing’s changed/
It’s just a new day

Voilà toute l’affaire : l’histoire d’un type qui n’en peut plus et que la vie, la gloire et le rock n’roll ont essoré. Il regarde le soleil et la mer et accueille la sanction avec bonheur. Après une douzaine d’années de carrière, Hideaway proclame un retour au point de départ qui sonne comme une défaite triomphale. Williams a pris de l’âge, du bide et des tatouages de corsaire en bonus. Mais il n’est fondamentalement pas si différent de l’adolescent qui n’avait rien à espérer du monde et qui n ‘en a rien obtenu. Ni l’amour (The Blame, désespéré et pop), ni la vie en apnée tirée du sexe et des drogues (Marine Life), ne changeront la donne. Avec cet album, Wavves ne fait que proposer une version mature et enrichie en (mauvaises) expériences de son pessimisme originel. Si la vitesse diminue, si le sang s’épaissit, le groupe peut toujours se consoler en composant un titre des Boo Radleys en pilotage automatique et en appuyant sur la pédale d’effet. Planting A Garden est un standard instantané, une variation sur le même thème qui semble ouvrir les voies d’une reproduction du même à l’infini sur le modèle de ce que fait Jay Mascis avec le Dinosaur Jr depuis trente ans. Peu importe la formule si elle gagne à tous les coups.

Hideaway est l’album de la stagnation et du surplace. On peut courir très vite et ne pas faire un pas. On peut aller très loin sans bouger d’un pouce. Caviar ressemble à une face B tombée de l’album blanc des Beatles quand tout le monde en avait assez de tout et que la beauté s’infiltrait, contre l’avis de tous, sur la moindre note.

I’ll come to you If I wanna /
And that’s the end girl /Forever/
Who will hold you till you’re better?/ I don’t care if we’re together. /
I’ll come home to you / When I wanna.
And that’s the end girl. Forever. /
Shalalalalalalala Shalalalalalalala

Ce dernier morceau, divinement arrangé et produit, est un bijou, en même temps qu’un prodige d’équilibre et d’harmonie. Hideaway est à son image, un album sans surprise mais merveilleux de bout en bout, touché par la grâce et léger comme le vent. Wavves a perdu de sa fougue et de son innocence mais pas de sa pertinence et de son talent. Cela fait plus de dix ans que Williams fait partie de nos chouchous. Ça n’est pas prêt de changer.

Tracklist
01. Thru Hell
02. Hideaway
03. Help Is On The Way
04. Sinking Feeling
05. Honeycomb
06. The Blame
07. Marine Life
08. Planting A Garden
09. Caviar
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Mots clés de l'article
, , , ,
More from Benjamin Berton
Western – Western
[Kshantu / L’autre distribution]
Federico Pellegrini fait partie avec Armand Gonzales (Sloy, 69) des trésors cachés...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *