Cela fait longtemps que les artistes à prénom unique ne courent plus les rues. Si on excepte les Angèle et Pomme dont la simplicité n’est pas le but, mais un point d’attrape pour draguer leur public en amont (ou… en aval) de sujets de société, cette nudité du pseudonyme, celle des Lio, Elsa et Sheila, a presque disparu. Corine s’inscrit dans cet anachronisme, semblant perpétuer cette candeur consciente jusque dans le laconisme du titre de son nouvel album, R, faisant suite au sympathique Un air de fête (2018). La franchise, voilà l’effet et le but recherchés ; cela fait notre affaire, et bien.
C comme… capillotracté
Un album d’italo disco français, c’est typiquement le genre d’albums que la critique dédaigne louanger ou égratigner, et c’est malheureux. Alors oui, R n’est pas le disque de l’année, mais il nous divertira, et plus étonnant encore : nous surprendra. Cela arrive vite, dès C’est si beau prenant la place d’un trop palot Bouge bouge. La piste rappelle la sage Juliette Armanet avec qui elle croisait la voix, mais en plus sexy encore. Ici, les notes tintent comme des flûtes de champagne dans la joie. Mais là où on ne l’attendait pas, c’est dans sa thématique choisie, soulevant alors notre intérêt, tant célébrer la venue prochaine d’un enfant est rare en chansons de nos jours. Et elle le porte bien, ce message presque contestataire ; comme il est rafraîchissant, égaillant pour ceux partageant cet avis, disparu chez les chanteuses! Corine réalise un doublé avec Paris, chanson dressant un portrait engagé, peu élogieux de l’état contemporain de la capitale, et donc de son glorieux fantôme. Les paroles nous stupéfient à la fois par leurs callosité et courage, allant à l’encontre du silence artistique entourant la défiguration orchestrée par Anne Hidalgo :
« Paris, non, je n’aime plus tes rues / Je n’aime plus marcher sur tes trottoirs sales /
Paris ô Paris, je n’aime plus sentir / La solitude écrasante de tes vieux abandonnés /
Routine tranquille, aveugle et sourde / Je marche, je marche« .
Encore ! : « Où sont les rires ? Y a que des soupirs ! / Juste un sourire pourrait suffire« . Ce n’était pourtant pas pour l’écriture qu’on entrait dans ce genre d’albums. Mais quel cri du cœur, bordel !, nous laissant écouter sous un angle différent, parlé, la superbe voix de sa chanteuse. Ce n’était absolument pas obligatoire, de camper des positions audacieuses ou de traiter de sujets que des pisse-froids verrons comme des réactions régressives ou dangereuses (alors que la réaction est sainte, peut être source de progrès). Et que cela fait du bien, cette fraîcheur de la différence ! R… comme rebelle, oui madame !
Air Corine
Le reste de l’album ne nous enflammera pas autant, mais c’est encore cette plume inégale, mais inattendue dans ses hauts faits, qui nous pourvoie en images d’un mignon prosaïsme, comme ce Premier baiser : « À la fenêtre, ma jolie bande ricane / C’est si bon de savoir qu’elle est là! / À jamais, ici et maintenant, à mes côtés« , et là, on a l’impression de voir devant nos yeux une Mise au point comme l’aurait voulu Jakie Quartz. Dans cette belle captation d’un moment, on croirait entendre une Madonna en salopette, juste après ses débuts avec Patrick Hernandez, protégée par le regard bienveillant des copains de Little Italy. On éprouve sans doute plus de plaisir qu’à écouter le Cœur trop parfait, trop lisse de Clara Luciani : la moindre sophistication rend R plus imparfait, lui conférant en échange un surplus de sincérité. Alors que c’était à l’immarcescible Giorgio Moroder (oui, encore, toujours!) auquel on pensait sur C’est si beau, on monte cette fois Chez Joe pour retrouver nos souvenirs de Cerrone, accoudés au comptoir. Sur Tutta sola, notre Pino d’Angiò national passe une tête, et on meurt d’envie de romaniser Paris à coup de pizzas. Le refrain est excellent, et on adore ces pianotements qui tintent comme les verres trinquent. On ne sait même plus si notre époque mérite une telle musique…
Tout cela est kitsch, et c’est bien pour cela que l’album est appréciable. Mais tout l’art réside dans son dosage, et R ne s’en voit pas épargné. On pourra trouver des cordes tragédiennes trop tire-larmes par-ci, une trompette en folie par-là, pas du meilleur goût. Sur Mamouchka par exemple, on croirait entendre une Mylène Farmer voulant revivre l’épisode Tristana, avec le style d’une Alizée au rabais. On se doute bien que les deux artistes ont marqué Corine et son équipe à l’époque, mais cet effet de réverbération sur une voix corrigée à l’ordinateur viennent mauvaisement diversifié l’album. On en dira autant d’un Happy Birthday torché au stylo et dont le rythme trap tue tout. On rencontre de grosses perturbations en seconde moitié d’album, oscillant entre le bon, le kitsch et le balourd.
Il faudrait que tous les morceaux est cette même force de joie qu’un album de Jakie Quartz ou de Raffaela Carrà, voire même cette abstraction pop d’un 45 tours d’une production Roberto Ferrante pour Clio ou Ryan Paris. Peut-être que nos souvenirs idéalisent à tort ces albums pas avares en pistes oubliables, et pourtant… on aurait voulu que l’album soit un pourvoyeur en tubes. Sur À nos reflets, Corine apparaît presque comme la Yelle de Safaro Disco Club. On se dit alors qu’on l’imaginerait bien collaborer avec Oliver ou Alan Braxe ; avec Bob Sinclar, les deux s’entendraient comme larrons en foire. R est loin d’être sans (gros) défauts qui pourront crisper, mais présente des qualités là où on ne l’aurait jamais cru. C’est par une étude critique que nous pensons témoigner notre envie de voir cette musique certes perfectible, mais aimable, revenir sous la plus belle des enveloppes.
02. C’est si beau
03. Paris
04. Tutta sola (ft. Pino d’Angiò)
05. Chez Joe
06. Premier baiser
07. Mamouchka
08. Happy Birthday
09. À nos reflets
10. Besoin de nous
11. Les cigales
12. R-O-M-É-O