Décidément, on a beaucoup de difficulté à suivre la (frénétique) carrière de Nick Rattigan. Il faut dire que l’Américain est un boulimique ultra-productif. Outre son job de journaliste et de vidéaste, il est surtout un musicien accompli : chanteur, compositeur, auteur et multi-instrumentiste, il démultiplie les identités et les réalisations.
Aussi, au moment de poser Voyager sur la platine, on découvre avec effarement qu’il a déjà signé, sous le nom de Current Joys, pas moins de l’équivalent de 7 albums depuis 2014 avant que cette première réalisation pour le compte de Secretly Canadian nous arrive enfin. Et l’ouverture de l’album illustré d’une photo qui en annonce le ton et l’humeur, provoque un chavirement immédiat. Tout d’abord, la rythmique s’obstine comme un moteur récalcitrant à s’élancer. Mais lorsque le piano rentre et qu’une envolée de cordes enserre le cœur et que la mélodie valdingue sur un roulement de batterie, il se dégage une émotion incroyable. Surtout cet homme est habité, incarné. En deux minutes, on a déjà envie de chialer et le bonhomme n’a pourtant pas chanté plus de 20 secondes. Dancer In The Dark est une chanson au format impeccable (3mn21sec) mais qui s’arrête avant de prêter le flanc à la redondance. Il faut plusieurs morceaux encore pour faire enfin le rapprochement et réaliser que l’on avait découvert Rattigan avec Heaven Surrounds You (2019 – Danger Collective Record), le troisième de Surf Curse, le super groupe de super chansons super pop dans lequel il tient la batterie et le micro. Donc pour ceux qui auraient partagé notre enthousiasme à leur encontre, vous pouvez d’ores et déjà dérouler cette chronique pour passer commande.
On retrouve chez Current Joys cette même faconde pour trousser des chansons qui, sous leurs allures classiques, transpirent d’émotion. Si le chant est secoué de vibrato, le compositeur reste à bonne distance de toute emphase, de tout misérabilisme, même si se glissent parmi les 16 morceaux des intermèdes instrumentaux rêveurs. Il est même capable de mettre les potards dans le rouge, de s’escrimer sur un gros riff de guitare et bien évidemment la rythmique se montre toujours véloce et inventive. L’énergie est palpable dans ce Voyager, vite composé, vite enregistré, immédiat et sincère. Lettré et cinéphile compulsif, il puise son inspiration dans ces histoires du quotidien qui permettent à tout un chacun de se projeter – un peu comme chez Kevin Morby. En d’autre temps, Pinback avait aussi réalisé ce type d’albums, taillés pour les college-radios mais qu’on préfère écouter en solo pour laisser la mélancolie nous envahir, un verre à la main quand on reste à quai d’une histoire d’amour plus fantasmée que vécue. Voyager est un excellent alibi pour exorciser son mal-être tout en donnant l’impression de dodeliner de la tête et taper du pied.