Cette fois, les féals de Nick Rattigan et son projet Current Joys vont en avoir pour leur surprise. Pas sûr que certains puissent reconnaître le chanteur de Surf Curse ou du salué solo Voyager (2021), derrière ce LOVE + POP complètement âpre et foutraque. Entre ces deux albums solo, il a comme à son habitude inondé la toile d’un album live de B.O. (The Phantom of The Highland Park Ebell) et d’autres projets dont il est coutumier, répondant à son besoin vital de s’épancher. On reprend donc de ses nouvelles. À priori, ça va pas si bien. Bonne nouvelle.
Joie de ne pas recevoir
Ce qui frappe dès l’ouverture de l’album, c’est ce désir complet de rupture de Rattigan. Sur le morceau-titre, on se voit catapulté dans nos années collège et rock alternatif, avec notre sweat à capuche et nos doigts nouvellement abîmés par la clope, à bailler notre ennui en cours. On se mate un animé d’Hideaki Anno et on fantasme le soir sur les babes peroxydées, notre magazine tout encorné. On évolue d’une case à l’autre comme une bande-dessinée, passant d’une planche emo goth à une autre étonnamment trap. Sur Gatsby, CJ mime feus Lil Peep (le morceau d’ouverture est d’ailleurs une reprise de lui) et XXXTENTATION, à ceci près que lui a lu quelques livres (il est journaliste à la ville). Issus tous des générations Y et Z, tous les artistes collaborant ou à qui fait penser cet album ont TOUS en commun une foutraque versatilité et une certaine tendance pour la grave déprime et le fauchage de vies. Accompagné de ses amis, Current Joys s’improvise en équilibriste à chaque piste, devenant méconnaissable. LOVE + POP semble une énorme compilation des talents de son chanteur / producteur, prenant le meilleur de chaque monde visité, mais dont son auteur aurait volontairement, dans un acte créatif primaire, oublié de les étendre, ainsi que de dresser des passerelles entre.
Il y a une incontestable intelligence de la composition sur LOVE + POP. Mais on a comme l’impression que chaque perlette est un embryon d’album différent, nous laissant augurer du meilleur, mais de quelque chose qui n’arrive jamais ; tout du moins pas maintenant. Avec des pistes ne dépassant rarement les trois minutes, Current Joys ne laisse pas vivre ses chansons. En résulte un matériau brut jeté à la volée, sans gangue, audacieux mais éminemment fragile de par sa nature. On aurait espérer plus que des amuse-bouches.
Eat, rave, sleep, die
Les amateurs de pop indie toute douce souhaitant retrouver l’ambiance de Voyager risquent donc d’être chamboulés sans avertissement, à l’écoute d’un Rock n Roll Dreams électro trap (au titre trompeur, donc), morceau oppressant tenté par Skrillex et même la jungle terror de Wiwek. Le morceau s’apparente à une overdose, mais en MIEUX! À l’écoute de paroles comme « I guess I need the poison more than my own life / […] I don’t wanna fight / I just want to fuck« , on préssent l’obésité mentale de son chanteur. L’album est une sorte de délire expérimental white-trash hybride, s’essayant à tout sans pour autant vouloir aboutir à quelque chose, et dont l’involontaire impensé mérite est de souligner l’incroyable cohérence du rock (grunge, punk et gothique inclus), du rap (particulièrement la trap) et de l’électro dans la traversée de la déprime, tout cela placé dans une casserolette de PC music. C’est tout comme si Nirvana avait commencé à faire de la musique aujourd’hui, et se permettait des expérimentations volontairement idiotes sur leur ordi portable. Bref, on déglutit sa morbidité, et on mange nos cinq pages d’Hubert Selby Jr. par jour (dans l’idéal, Last Exit To Brookyn, roman qui donna à l’écran Requiem for a Dream), encre incluse.
Comme chez des artistes queer tels que Dorian Electra et aya, il suffit de remarquer l’inconséquence des choix typographiques des titres pour comprendre que l’album s’est fait dans un brouillard mental, sans ligne directrice, si ce n’est l’aléa d’états d’âmes (a priori défaillants) qu’il porte comme un gant. Rattigan joue avec les extrêmes : « Let me in the cold dark knight / Let me live my shadow life / Let me shed my shadow tears / I wish that your shadows here« , souffle-t’il dans le vocodeur sur My Shadow Life, ritournelle lo-fi qu’on aurait bien entendu chez Alex G. Alors que l’on pourrait s’attendre à un peu de répit, il ferme son album sur un morceau déflagrateur de house progressive long de huit minutes à la Born Slippy d’Underworld. Comme vous le constaterez, LOVE + POP est un parfait bordel, les collaborateurs, pour la plupart inconnus (Lil Yachty, Lala Lala, etc.) réussissant chacun à révéler un nouvel angle de Current Joys sans jamais empiéter. Le malheur d’un artiste peut donc enfanter le bonheur de son art. Pour autant, disposer de vignettes, même avec des notes bien tournées, ne suffit pas à transformer une prometteuse compilation en album.
02. LOVE + POP (ft. YOUR ANGEL)
03. Gatsby (ft. Lil Yachtie)
04. My Shadow Life (ft. Oddbody)
05. CIGARETTES
06. bb put on deftones
07. Dr Satan
08. Moon Sickness
09. Rock n Roll Dreams (ft. Brutus VIII)
10. I feel truth inside of u (ft. Slow Hollows)
11. 3lefant
12. U R THE REASON (ft. Lala Lala)