Eagles Gift / An Astral Journey
[Wild Valley Records]

7.3 Note de l'auteur
7.3

Eagles Gift - An Astral JourneyOn n’a aucune idée du public auquel peut s’adresser aujourd’hui ce genre d’album en France. Si le pays a accueilli avec plus ou moins d’enthousiasme et de retard la plupart des courants musicaux venus d’outre-manche ou d’outre-atlantique, depuis le punk jusqu’au garage en passant par la pop, le rock psychédélique n’a jamais fait recette, ni donné naissance à aucun mouvement significatif. Pas étonnant dès lors que la carrière des Angevins de Eagles Gift, dont An Astral Journey est le deuxième album, ait pris son essor aux Etats-Unis plutôt que de ce côté-ci de l’Atlantique.

Eagles Gift est le nom d’un bouquin de l’écrivain et anthropologue américain Carlos Castaneda, dont le rapport à l’œuvre controversée et mystique commande jusqu’ici la plupart des créations du groupe. Dans la cosmologie chamanique de Castaneda, l’aigle est la figure la plus élevée, une sorte de Dieu tout puissant qui conjugue les vertus de l’élévation mentale (la hauteur, la conscience claire et libérée) et de la puissance. Le don de l’aigle représente à la fois l’intelligence de l’homme et la valeur (absolue) du cadeau qu’il reçoit sous la forme du monde et de sa perception consciente. Vous suivez ? An Astral Journey marque la plongée toujours plus profonde de Romain Lejeune, leader fondateur du groupe, dans l’œuvre de ce gourou dont la plupart des bouquins racontent l’initiation par un mystérieux chamane mexicain appelé Don Juan Matus. Présenté comme un récit d’initiation authentique, on trouve aujourd’hui de nombreux témoignages qui pensent que Castaneda était un affabulateur et que la plupart de ses récits reposent sur son imagination. Peu importe à vrai dire, reste un ensemble impressionnant et réellement psychédélique où des mondes insoupçonnés s’ouvrent sous l’effet de drogues qui font rire, peur ou pleurer. Si la position de Don Juan comme de Castaneda sur le sujet est littéralement timide (la drogue agit comme un vecteur secondaire dans le voyage astral), des générations d’Américains se sont précipités sur les pas de l’anthropologue pour retrouver la trace de Don Juan et partager avec lui sa bonne came.

L’Astral Journey proposé par Lejeune et les Eagles Gift est né de la fréquentation du fantôme de Castaneda et du rapprochement réalisé avec la culture/religion associée en 2014, lors d’un voyage américain du groupe au festival d’Austin. Le résultat est une oeuvre impressionnante de puissance et dont la vocation est de rendre compte, par les sons, la musique, de cet éveil (titre du superbe premier morceau de l’album Awakening) que produit la libération des sens ou de l’âme. Autant dire qu’on est ici et tout au long sur l’acception littérale du terme psychédélique, entendu comme l’action de rendre visible l’âme. Les titres sont longs, bons, riches en escaliers rythmiques et en progressions magistrales. Le groupe évolue toutefois dans un territoire sonore varié qui présente aussi bien des caractéristiques psyché que des résonances gothiques ou noise. Eagles Gift impressionne par son panache, l’ampleur de ses mouvements. Cela vaut pour les cinq bonnes minutes envoûtantes et vénéneuses de Pretend to be dead que sur le format court et incisif du beau Say It Again. L’univers est sombre, hanté et inquiétant. Chaque chanson correspond à la découverte d’une émotion et au franchissement d’une étape du voyage. Celui se révèle plus heurté et inquiet que véritablement lumineux, donnant à l’ensemble une texture sombre et angoissante, soulignée par un maniement des voix singuliers. Entre le chant clair et velu qui hante la plupart des morceaux et la voix de sylphide fantomatique (magnifique au demeurant) qui illumine le morceau fleuve Pythia In The Barn, on se situe dans un registre où l’autre monde fout un peu la pétoche.

Musicalement, si l’on est impressionné par la lourdeur des rythmiques et les montées climatiques (l’album est produit par l’ingénieur du son des Black Angels), on est déconcerté par ce pan, typiquement américain pour le coup, du rock psychédélique qui représente les passages entre les dimensions comme des grosses autoroutes à guitares. C’est là notre seule réserve de fond concernant le cheminement spirituel de l’album. A titre personnel, on a toujours préféré les ronds de jambes du Pink Floyd initial, les cercles souples de Can ou les arabesques folles et défoncées d’un Terminal Cheesecake aux développements psychédéliques trop rigoureux et codifiés qui ressemblent parfois à du rock progressif. Cette orientation dans la manière de rendre compte de l’élévation de conscience est ce qui donne force et impact à la musique des Eagles Gift mais constitue aussi et probablement une limite à son expression. L’album reste toutefois très percutant et passionnant à parcourir pour sa façon de sonner et par le parcours qu’il décrit.

Avec Eagles Gift, le rock français tient enfin son troisième œil, la force démiurgique capable de lui permettre de communiquer avec tout un pan historique du rock sombre et puissant qui secoue les veines de l’Amérique depuis les années 70. Les amateurs de voodoo (child et sister), de riffs qui ne tâchent pas et des réverbs en intraveineuse seront aux anges. C’est tout ce qui compte.

Tracklist
01. Awakening
02. Pretend to be dead
03. Charlie’s Violence
04. Nightwalker
05. Say It Again
06. Morning Anxiety
07. Drifting Away
08. Pythia in the Barn
09. Another earth
Écouter Eagles Gift - An Astral Journey

Liens
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