Ceux qui n’ont pas encore vu le biopic d’Elvis Presley réalisé par Baz Luhrmann pourront y aller faire un tour : c’est un film de facture assez classique (disons par rapport à Roméo+Juliet, film référence du même auteur) qui suit d’assez près le parcours du King en se plaçant sous le point de vue de son impresario, manageur, père adoptif et tyran personnel le Colonel Parker. Les acteurs sont de qualité à commencer par Elvis lui-même incarné par un Austin Butler séduisant en diable et qui marie parfaitement sex appeal et allure d’éternel gamin. A ses côtés, Tom Hanks interprète donc le Colonel Parker qui raconte son histoire… depuis son lit de mort. Ce n’est clairement pas la meilleure idée de réalisation et de scénario puisque cette position narrative a tendance à ralentir le récit (le Colonel est mourant) et à nous couper de l’authenticité et de l’énergie motrice du chanteur. Hanks fait le travail avec application, sans en rajouter dans la roublardise mais en prenant le parti d’un jeun plutôt monolithique et en retenue qui correspond assez bien au personnage. Olivia DeJonge fait une Priscilla Presley assez ressemblante mais à qui Luhrmann n’accorde pas beaucoup de place et surtout pas une très grande influence sur le cours des événements.
A l’écran, Luhrman s’en tient à une narration ultra classique et strictement chronologique qui est à peine secouée par sa mise en scène syncopée et ultranerveuse (entendre qu’il y a beaucoup de plans… quelle que soit la situation). Certains y voient un signe de génie et de modernité. On peut aussi y lire un manque de situation, toutes les scènes se retrouvant hachées en mille plans/morceaux comme s’il était impossible de rendre une émotion sans la découper et en varier vingt fois le point de vue. Il reste que l’image elle-même est soignée, riche des moyens monumentaux accordés au film et esthétiquement plutôt raccord avec le charme et la pétulance du sujet. On apprécie notamment les jolies scènes d’hôtel, les reconstitutions de concert (des débuts locaux jusqu’à Vegas) qui donnent un vrai cachet d’époque au film. Elvis en choisissant de parler par « les yeux » de Parker se privent toutefois d’une analyse en profondeur d’Elvis qui eut été probablement plus intéressante que le propos du film visant à démontrer qu’il faut être rusé pour réussir dans le show-biz. La morale est un peu sèche et on aurait aimé que le thème soit le succès lui-même, la confrontation d’Elvis à son propre rêve de gosse voire (soyons fous) la musique elle-même ou comment s’invente en direct le rock moderne et blanc.
Musique donc et tout de même puisque c’est le (vrai) sujet. Baz Luhrmann est un as des BO et celle-ci ne fait pas exception. La soundtrack telle que se présente et une compilation en 36 pièces qui comprend majoritairement des chansons du King « mis en scène » pour le film, c’est-à-dire un peu réarrangée parfois ou carrément brutes, et des titres qui sont convoqués par le film pour scander des épisodes de la biographie du chanteur. On trouve ainsi de manière un peu étonnante le King and I d’Eminem, morceau de commande plutôt cool qui parle un peu du King (« lui et moi étions comme compagnons de cellule ») mais aussi et surtout d’Eminem, ou encore un surprenant et intéressant (du moins au début) Tupelo Shuffle signé Swae Lee dont l’intérêt principal est de broder de façon virtuose autour du thème de That’s Alright Mama. La patte sacrilège de Luhrman est toutefois contenue et ne donne lieu à aucune surprise horrible à part peut-être la version criarde du Hound Dog par Shonka Dukureh, chanteuse contemporaine de 44 ans malheureusement décédée un mois après la sortie du film. On doit même signaler parmi ces incursions contemporaines l’épatante version donnée par Kacey Musgraves, l’une de nos chouchous country, de Can’t Help Falling In Love, peut-être la plus grande chanson d’Elvis. La version est simple, dépouillée et interprétée avec une lisibilité remarquable, sans que l’interprète s’échine à faire mieux que l’original. Voilà ce qu’on demande. C’est aussi le parti pris d’un Les Greene qui s’attaque au monumental Tutti Frutti, sans y toucher du tout et réussit à sonner d’assez près à ce que faisait Little Richard il y a plus de 70 ans. On peut se demander à ce point si la reprise a ou pas un intérêt mais les oreilles préféreront toujours cela à un travestissement volontaire. Austin Butler, l’acteur du film, apparaît lui aussi sur la BO pour quelques versions endiablées du King. Sa version de Trouble est un peu basse et théâtrale mais c’est quand même une belle prouesse vocale et une super performance. Dans le film, la scène est emblématique de la réalisation de Luhrman qui déménage : c’est très grossier mais efficace. Butler est finalement tout aussi intéressant (et sexy/sexuel) lorsqu’il cause à l’entame de Vegas Rehearsal, petit interlude qu’il enchaîne avec une version torride, électrique et gospel de That’s Alright vraiment incroyable. Au rang des curiosités, on mettra en avant aussi le remix d’Elvis par les Tame Impala super bien fichu (Edge of Reality) et le beau Cotton Candy Land chanté à deux voix par Chris Isaak et la légende country Stevie Nicks.
Cela nous ramène bien entendu, ce qui n’étonnera personne, aux titres de Presley qui, dans cette configuration filmée, conservent toute leur vigueur et leur capacité d’entraînement. On ne va pas se lancer dans un concours idiot mais qu’on écoute Elvis à l’entame sur un Suspicious Minds fantomatique ou sur l’incandescent et gonflé en studio façon disco I Got A Feelin In My Body, qu’on l’écoute sur un éprouvant remix de Don’t Fly Away ou qu’on le laisse faire son boulot à peu près au naturel sur le sublime Any Day Now (d’une belle modernité), la grande affaire du film est de confirmer sur chaque seconde que LA VOIX D’ELVIS est le truc le plus dingue qui soit jamais arrivé au rock. A l’aise dans à peu près tous les registres (et la BO lui rend une parfaite justice), en puissance comme en douceur, sur des accompagnements rock, cheesy, country ou pop, la voix d’Elvis et sa puissance d’interprétation surnagent et suffisent à faire de cette BO un très beau disque de rock’n’roll. On pourra bien sûr aller préférer les enregistrements originaux et Elvis par et pour Elvis, mais la mise en place réalisée pour le film, entrecoupée d’interludes et de versions modernisées, permet de se rendre compte combien la concurrence s’éteint quand on se confronte, par exemple, à une version pure et parfaite d’Unchained Melody ou Burning Love.
Au risque d’être ringard, on peut conclure en disant qu’Elvis est le meilleur et que cet enfoiré n’a pas pris une ride. Le film de Luhrman nous épargne d’ailleurs sa décadence en taquinant le sujet avec beaucoup de pudeur (ou de censure). Pas d’ennuis gastriques et de beurre de cacahuète ici. Elvis ressort de ce film beau comme un Dieu et à peine contrarié par les hippies et les manipulations de son mentor. C’est un mirage total mais peut-être ce qu’il doit rester pour passer de génération en génération. Pour voir autre chose, il vaut peut-être mieux acheter en DVD le film Room 37 sur la mort mystérieuse de Johnny Thunders (2019), une sorte de variation sur la fin d’Elvis mais en version punk.
02. Also Sprach Zarathustra / An American Trilogy by Elvis Presley
03. Vegas by Doja Cat
04. The King and I by Eminem & CeeLo Green
05. Tupelo Shuffle by Swae Lee & Diplo
06. I Got A Feelin’ In My Body by Elvis Presley & Stuart Price
07. Craw-Fever by Elvis Presley
08. Don’t Fly Away (PNAU Remix) by Elvis Presley & PNAU
09. Can’t Help Falling in Love by Kacey Musgraves
10. Product of the Ghetto by Elvis Presley & Nardo Wick
11. If I Can Dream by Måneskin
12. Cotton Candy Land by Stevie Nicks and Chris Isaak
13. Baby, Let’s Play House by Austin Butler
14. I’m Coming Home (Film Mix) by Elvis Presley
15. Hound Dog by Shonka Dukureh
16. Tutti Frutti by Les Greene
17. Strange Things Are Happening Every Day by Yola
18. Hound Dog by Austin Butler
19. Let It All Hang Out (feat. PlayThatBoiZay) by Denzel Curry
19. Trouble by Austin Butler
20. I Got A Feelin’ IN My Body by Lenesha Randolph
21. Edge of Reality (Tame Impala Remix) by Elvis Presley & Tame Impala
22. Summer Kisses/In My Body by Elvis Presley
23. 68 Comeback Special (Medley) by Elvis Presley
24. Sometimes I Feel Like A Motherless Child by Jazmine Sullivan
25. If I Can Dream by Elvis Presley
26. Any Day Now by Elvis Presley
27. Power of My Love by Elvis Presley & Jack White
28. Vegas Rehearsal/That’s All Right by Austin Butler & Elvis Presley
29. Suspicious Minds (Film Edit) by Elvis Presley
30. Polk Salad Annie (Film Mix) by Elvis Presley
31. Burning Love (Film Mix) by Elvis Presley
32. It’s Only Love Elvis Presley
33. Suspicious Minds by Paravi
34. In the Ghetto (World Turns Remix) [feat. Nardo Wick] by Elvis Presley
35. Unchained Melody (Film Mix) by Elvis Presley