Opinion / Troisième Opinion
[Howlin’ Banana / Flippin’ Freaks / Nothing Is Mine / Les Disques Du Paradis]

8 Note de l'auteur
8

Opinion - Troisième OpinionQuand on opère sous couvert d’un tel nom, on s’expose, forcément, outre à l’anonymat internet d’un patronyme impossible à référencer, à la paresse facétieuse des observateurs de tous bords qui ne se satisferont pas d’un second avis et iront solliciter une Troisième Opinion et qui verront en Hugo Carmouze un impeccable leader d’Opinion. Allez, ça c’est fait. Il y en aurait bien d’autre mais on va se contenter de ces deux-là car il y a bien plus excitant à raconter sur cet artiste singulier, pressé et hyperactif. C’est que si Troisième Opinion succède bien à une First Opinion en 2016 et tout aussi logiquement à une Second Opinion l’année suivante, il est très très loin d’être le troisième album d’un artiste qui compose comme il respire, multiplie les projets et les pseudos, les collaborations diverses et donc les sorties, physiques ou numériques sur son propre label Nothing Is Mine, chez les copains bordelais des Disques Du Paradis et de Flippin’ Freaks et maintenant chez les parisiens d’Howlin’ Banana, quatrième label à produire un LP à l’ambition renouvelée. Difficile donc de donner un numéro à un disque qui s’inscrit dans une incroyable lignée débutée alors qu’Hugo Carmouze, certes bien élevé à la musique par des parents musiciens, n’était qu’un tout jeune ado lorsqu’il sortait son First Opinion enregistré dans le plus pur esprit DIY dans le garage d’un pavillon gersois.

Bordeaux, précocité, hyperactivité, scène dynamique, labels en vogue sur la scène underground : il n’y aurait qu’un pas pour inscrire Hugo Carmouze dans les traces d’un Kim Giani au parcours à ce jour toujours aussi incroyable. Et ça tombe plutôt bien : il est quand même très question ici de remonter le temps, direction la fin du siècle dernier. Ah, les années 1990…. Difficile d’en vouloir à la jeune garde de se pencher sur ces années formidables où s’entrechoquèrent pop et électro, guitares sales et mélodies gracieuses nous conduisant au rock d’après. Une époque où chacun puisait là où bon lui semblait, commençant enfin à faire fi des boutiques et des injonctions, découvrant à travers ces musiques hybridées le jazz et le classique, assumant les mièvreries aussi bien que le métal assourdissant ; un éclectisme devenu aujourd’hui une sorte de norme, aux dépends sans doute du suivi sans faille des discographies d’un groupe ou d’un label. Opinion joue un peu de tout cela, usant sans compter des capacités des plateformes sur lesquelles la mise en ligne d’une musique DIY fabriquée dans l’urgence n’a jamais été aussi simple. Avouons-le, certains dans les années 1990 en auraient rêvé !

Pour autant, ce Troisième Opinion dans sa conception sur le temps long semble marquer un tournant dans la carrière déjà bien remplie du jeune musicien. Même si on retrouve encore ces guitares saturées, cet esprit lo-fi fait-maison, qui plus est tout seul ou presque (un coup de main du frangin pour le mastering et c’est à peu près tout), l’album fait place à des sonorités nouvelles, des explorations qu’Hugo Carmouze n’avait pas encore ou peu tentées, comme l’utilisation plus marquée de la langue française, toujours un peu intimidante au début qui fonctionne de façon plutôt convaincante. Il vient plus que jamais trouver tranquillement sa place dans ce mouvement qui sort petit à petit les groupes bordelais de leurs caves pour conquérir le reste du pays. Au-delà de l’appartenance à un réseau (le collectif Flippin’ Freaks), on sent naitre une vraie communauté d’esprit autour des frères Palis (Th Da Freak, Siz), Cosmopaark ou d’autres artistes émergeant comme Pierre Gisèle ou son groupe Teeth dans une vision du rock à la fois très collective avec des musiciens interchangeables, constamment en interactions les uns avec les autres et développant en même temps une approche très individuelle où pratiquement chaque artiste mène en parallèle un projet plus ou moins solo. Un véritable bain bouillonnant des bords de Garonne dont il est parfois difficile de s’extirper en se démarquant ; précisément ce que parvient à faire Hugo Carmouze ici.

Inutile d’épiloguer 107 ans sur les influences du jeune musicien qui, bien que déjà très expérimenté, laisse volontiers entrevoir à sa travers sa musique tout un pan de sa culture musicale et chacun à l’écoute ira reconnaitre ici une forte influence shoegaze britannique, là un bout de l’histoire de l’indie-rock US ou encore de belles références à la pop bruyante d’ici. Non, ce qui importe sur Troisième Opinion, c’est bien la dynamique d’ensemble d’un album qui sonne définitivement comme un disque des années 2020, petit remède aux grands maux d’une époque pas bien gaie comme en témoigne la prescription du titre d’ouverture, Neige Florale (à écouter pendant une crise d’angoisse), symbole d’une certaine fragilité que l’on ne cherche plus à cacher honteusement, à l’image d’un Grian Chatten la tête dans le sac il y a quelques mois de ça. A la fois touchant et enjoué, porté par une énergie qui ne fait jamais défaut et des mélodies sans prétention mais qui touchent dans le mille à chaque fois, de ses recoins les plus pop 60’s (l’entêtant Cimetière) au punk garage le plus tranchant (un Waking Up détonnant dont le refrain épatant s’envole d’un souffle), Troisième Opinion est un album qui file à toute allure. On se trouve emporté par un paquet de ces mini tubes qu’on adore, que ce soit l’impeccable single 19, qui nous avait fait entrer dans l’univers de cet album de bien belle manière, le chaloupé For Real et son empilement de guitares irrésistibles ou la très habile Mains agissant comme une merveilleuse madeleine, tous les morceaux s’enchainent et ne laissent que peu de répit pour reprendre ses esprits. Comme souvent, ce n’est qu’à l’issue d’une expérience agréablement bruitiste et d’une ultime saillie électrique (Smile, menée tambour battant) qu’Opinion recouvre des oripeaux folks pour une conclusion toute en douceur, Pour La Nuit, Par La Fenêtre complétement Eliott Smithienne au coin du feu de camp, harmonica à la bouche, contrepied quasi parfait du reste de l’album.

Alors si on a parfois du mal avec ces artistes hyperactifs qui peuvent donner l’impression de vouloir monopoliser notre temps avec leur production pléthorique voire éclectique et déroutante, ça n’est pas non plus une raison pour ne pas visiter de temps en temps un bout de leur discographie. Après tout, rien ne l’impose et surtout pas les nouvelles pratiques musicales actuelles invitant à papillonner. Impossible non plus d’en vouloir à Hugo Carmouze de nous replonger dans ce grand bain intense et amoureux des années 1990 tant l’époque fut enivrante et son souvenir, gracieux et encore bien ancré, est ici revisité avec beaucoup de talent et de pertinence, condensant une bonne partie du meilleur du rock à guitare d’une décennie complétement excitante. Allez, on en tente une dernière ? le mieux, c’est quand même de vous faire votre propre Opinion.

Tracklist
01. Neige Florale (A Ecouter Pendant Une Crise D’Angoisse)
02. Un Petit Chat Dans Mes Bras
03. 19
04. Microrange
05. Mains
06. For Real
07. Cimetière
08. Waking Up
09. Gemini
10. Smile
11. Pour La Nuit, Par La Fenêtre
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