La fougue qui caractérisait les premiers travaux de FEWS est intacte. Cela n’est pas grand chose mais on n’a pas tant d’exemples que ça de groupes qui sept ans après leurs premiers pas (l’album Means, gigantesque), signent un troisième album légitimement plus complexe et « profond » que le premier mais qui en conservent toute la fureur et l’énergie primitive. L’un des principaux atouts de Glass City, album concis (36 minutes pour dix titres) et ramassé, est qu’il ne recherche pas tant que ça à s’opposer à ses prédécesseurs, ni à aller de l’avant. Il prolonge, succède, foudroie, calant ses pas, ses tempos, ses larsens sur le niveau d’engagement électrique d’un Into Red rendu plus abrupt et brutal par la production de Steve Albini.
Revenus à Malmö depuis quelques années, les FEWS ont été coupés dans leurs ambitions par la crise sanitaire et la déconvenue de leur contrat avec PIAS. Paradoxalement, le retour aux sources et à une forme de petite échelle puisque leur EP a été comme cet album autoproduit et composé uniquement et strictement par leur leader et architecte Joakim Lindberg, a contraint et renforcé le groupe dans sa démarche de radicalité sonique et de recherche d’une honnêteté totale dans les livraisons. Glass City démarre avec le titre le plus ambitieux peut-être de l’album, et le plus long : un Yoga Instructor qui évolue en mode midtempo, presque au ralenti, en privilégiant l’impact sur la vitesse, l’installation de l’ambiance plutôt que la puissance. Le morceau est excellent, nimbé d’un brouillard électrique qui renvoie à l’incertitude qui planera sur le disque entier. FEWS travaille par petites touches avec une technique qui n’est pas sans rappeler ce qu’a tenté Interpol à partir de son deuxième album. On retrouve cette même façon de chercher à dégager le morceau d’entre les boucles composées par les guitares, de varier le positionnement des éléments en jouant sur les entrées/sorties des différents éléments. La voix de Frederick Rundqvist est lâche, désabusée et se moque en traînant du soi-disant bien-être procuré par le yoga alors qu’elle se noie dans un océan de tristesse. La mélodie entraînante est répétée à l’arrière-plan, comme si le groupe se refusait à lui laisser prendre corps, préférant au contraire l’éteindre, la contenir pour ruminer.
Ce premier morceau ouvre sur un corps d’album tonitruant, bouillant et brillant qui voit s’enchaîner le punk abrasif, nébuleux et fugueur de Massolit, single qui évoque l’affirmation de soi et le bonheur quasi mystique qu’on peut trouver en et pour soi lorsqu’on échappe pour un temps à l’être aimé, l’encore meilleur Adore, bâti sur un jeu d’équilibres et de déséquilibres soniques assez fabuleux, et un Get Out lumineux et qui nous fait penser aux meilleurs morceaux de Wavves. FEWS évolue dans un territoire bien à lui, aux confins du shoegaze, du punk et de la pop, ne négligeant jamais la mélodie au profit du son, le bruit au profit du sens. On aurait pu citer de la même manière le classicisme à la Ride période Nowhere d’un Soon aux guitares limpides et aériennes, l’ultra-violence d’un In Head qui rend littéralement fou, ou encore le découpage spectaculaire en deux séquences presque opposées d’un Fled dont le but semble être de se faire la belle en vrac après s’être explosé la face contre un mur de son.
Avec FEWS, les amateurs de bruit blanc seront ravis. Ils dégusteront le disque comme on goûte un vin d’exception, en prenant soin de séparer mentalement les couches de sons, de mesurer les distances, les espacements entre les nappes. Le travail de production confère une texture passionnante aux déclinaisons électriques et réussit à faire passer pour très différents des titres qui mettent pourtant en oeuvre des ingrédients très proches. Le petit reproche qu’on avait fait à Into The Red à cet égard, celui de la différenciation des morceaux, est ici tombé. Les titres offrent des capacités de rebond insoupçonnées, des relances comme sur le post wave d’un Strafe crâneur ou le curieux et transitionnel Outing. Glass City nous fait penser dans sa construction au splendide Saudade Forever des Français (disparus) de The Dead Mantra, il y a quelques années. Il partage avec ce disque une forme d’indécision déterminée qui en impose et donne à la fois l’impression que l’on se perd alors qu’on sait sur chaque note où on veut aller. Il y a une sorte de vertige qui s’empare de l’auditeur à force d’être balloté ainsi et enveloppé dans le nuage électrique. Amend, le final, résume tout ceci à la perfection, fringant, mi-organique, mi-synthétique, il pétarade vers une rédemption aussi furieuse que glorieuse. Sur Glass City, surtout, et c’est rare chez les groupes à guitares, il n’y a jamais une note de trop, jamais un riff ou un effet qui parle pour ne rien dire.
Selon la légende, c’est au troisième album qu’on sait si un groupe est aussi grand qu’il en a l’air. On y est. A la hauteur.
02. MASSOLIT
03. Adore
04. Soon
05. Get Out
06. In Head
07. Fled
08. Strafe
09. Outing
10. Amend
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