Le dernier album après le dernier album…et sans doute avant le prochain. C’est ainsi qu’on peut appréhender Trouble on Big Beat Street, le nouveau disque du Pere Ubu, annoncé pour le 26 mai chez Cherry Red Records. Après avoir recouvré de très sérieux ennuis de santé qui avaient laissé penser un temps que The Long Goodbye, serait le dernier effort du groupe formé à Cleveland au milieu des années 1975, David Thomas et les siens ont recouvré leur rythme de croisière. Après un album live assez génial l’an dernier, le groupe a planché très vite sur de nouvelles chansons autour de sa configuration traditionnelle avec David Thomas, Keith Moliné, Andy Diagram, Gagarin et Michele Temple, fidèles équipiers à divers titres, et intégrant aussi Alex Ward et Jack Jones au dispositif. L’album est présenté par son auteur principal et chanteur du groupe comme une réponse au cultissime Song Cycle de Van Dyke Parks, une suite exploratoire des genres qui constituent les musiques contemporaines. Sorti en 1968, cet album-monstre, aux ambitions incomprises, aurait laissé un souvenir tenace dans l’oreille d’un Thomas qui, cinquante ans plus tard, formulerait ainsi sa réplique : rendre compte de TOUTES les musiques en même temps et dans un « geste » à la fois hautement technique et immédiatement spontané. Trouble On Big Beat Street désigne le point nodal (le point de l’oeil et de l’oreille) où la musique se réfléchit, l’endroit géographique où le rock et le blues se croise, l’intersection où Robert Johnson pactise avec le diable, celle où Crocus Behemoth sacrifie Peter Laughner et prend les rênes de l’une des aventures musicales les plus avant-gardistes, vigoureuses et passionnantes de ce dernier demi-siècle.
« If this isn’t album of the year,” a déclaré David Thomas, then my name is Elmer Fudd.” Cela fait bien longtemps que Bugs Bunny a été changé en peau de lapin, bien longtemps que le rock a été décomposé. Le premier extrait du disque, Worried Man Blues, reprise d’un standard folk né sans doute avant les années 30 et enregistré notamment par la Carter Family, annonce un disque fragmenté, mêlant rock, free jazz, free rock et impro (la spécialité de Ward), dans un ensemble unique et hautement sentimental où même la voix est torturée. Plus Pere Ubu s’approche de sa propre fin et plus l’excitation grandit.
And it takes a worried man
To sing a worried song It takes a worried man To sing a worried song Takes a worried man, sing a worried song I’m worried now but I won’t be worried longLe rock pourrait n’être rien d’autre que l’expression d’une inquiétude, le reflet de la mort dans le miroir de notre vie. Trouble On Big Beat Street comportera 10 titres et 7 morceaux bonus en version CD. Ce sera l’un des rendez-vous importants de cette année.