Le jazz est peu présent dans nos colonnes ; la langue portugaise, encore moins en nos lignes. Gabriel da Rosa nous offre la possibilité de nous y exposer pour prendre quelques couleurs. C’est à un restaurant à sons que le musicien nous attable, un troquet à ciel ouvert sur le soleil du Brésil, son paradis vert et ses rues chamarrées.
Quel titre d’album plus accueillant que É o que a casa oferece, « Voici ce que propose la maison »? Le disque nous intime de retrouver l’âme d’un Bandida. Dès les premières secondes et ses instruments aux sonorités animales, notamment la cuíca, cette percussion dont le son s’approche aussi bien de celui d’un chiffon sur une vitre que du gémissement d’un primate, nous voilà transportés, et pas que géographiquement : au sein de notre chronologie interne. On avait laissé un peu la bossa nova de côté dans nos vies, notre triste Occident l’ayant cantonnée aux époques plus reculées et simples du siècle dernier. Car oui, peu de modernité ici, uniquement un enregistreur, un studio que l’on devine et quelques instruments dans leur plus simple nudité. Et c’est nos premiers souvenirs sonores avec ce pays verdoyant et son jazz à lui qui nous reviennent, probablement par l’entremise de l’américain Quincy Jones et de son interprétation américaine du genre avec Soul Bossa Nova.
Un jardin nommé désir
On allume la musique pour laisser entrer la jungle dans toute son exubérance. Elle est un langage mystérieux et impénétrable qui toujours nous échappera, une langue apte à ouvrir les portes de notre perception. Avec da Rosa, il n’est pas question ici de nous échapper dans un nouveau royaume monté de toute pièce, mais juste d’aérer la pièce de vie, créer un appel d’être. Pour le brésilien, pourquoi chercher ailleurs quand cet éden naturel s’offre à vous dans toute sa majesté ? Autant partager celui-ci. En amuse-gueules, Idiosincrasia est épatante, pleine d’ardeur et simple comme bonjour. Elle aura de quoi égailler un repas familial et engager les sourires, infusant dans un salon trop longtemps tristounet un morceau de végétation.
Il y a ce charme désuet, mais qui perdure grâce à son auteur, continuateur d’une musique de rue humble mais puissamment dyonisiaque, d’une musique d’hier qu’on pouvait entendre dans quelques jardins et bars préservés du progrès. Sur Jasmim Parte 1, la flûte est incroyablement animale (et donc amicale), volatile comme un colibri à la recherche d’une bouffée de fleurs. La guitare se tient aux aguets, inquiète mais toujours là pour alimenter la discussion. Les caxixis (maracas brésiliennes) pleuvent par intermittence, car là-bas, le climat est tropical. Le bâton de pluie invoque l’averse et la houle, faisant tendre par moment l’album vers l’ambient minéral. É o que a casa oferece nous accroche à son écrin. De l’album émane alors un climat, une atmosphère, un ethos animant ce logos à sons, la musicalité de sa faune et l’agréable moiteur de sa flore. La musique a décidément l’âme de l’environnement la voyant naître.
Ça jazze ?
Gabriel da Rosa a choisi son camp, celui d’un jazz diurne. On pourra légitimement lui reprocher une approche uniquement acoustique et traditionnelle. C’est un choix se tenant. Mais une critique bien mieux justifiée serait d’extraire de ce jazz qu’une vision excessivement lumineuse et insouciante, engendrant donc quelques redites. Le récent album du jeune Tunico présente le même problème en nous servant, pour son cas, un versant plus mélancolique de ce jazz, mais une nuance seulement de ce genre pourtant protéïforme. Avec Dona Chica par exemple, on se situe là encore dans un climat langoureux et languide, celui de l’ici et maintenant. Le cinématographique So You Can See Me tente pourtant de nous démentir, de même que le romanesque Interlude (that’s a shame), avec son surprenant désappointement aussi, mais ce n’est suffisant. Nous pensons alors aux bande-sons de films comme les États-Unis n’en font plus, ces classiques d’un temps désuet, et donc à une autre première fois, la rencontre inconsciente de nombreux enfants avec « du jazz » avec la B.O. du Livre de la Jungle. Da Rosa aurait pu s’empêcher de poser partout sa voix, laissant ainsi respirer certaines compositions pour laquelle elle se révélait dispensable. Mais voilà, il y aurait eu matière à diversifier les climats, le jazz offrant pléthore de variations que l’on retrouve dans un seul disque de Joaõ ou Astrud Gilberto, et ceci est d’autant plus dommage pour un album voulu vif et laconique.
Pour se faire pardonner, da Rosa nous sert une Cachaça frappée et pleine de glaçons, et on entend un sifflet nous enjoignant à l’éveil permanent ; de vivre baroquement. Malgré ses défauts, l’album se veut tonifiant, primitif mais non sauvage : d’une belle primitivité. À quelques milliers de kilomètres, des mains frappent en cadence, animations de villes encore réveillées en ce coin du globe. Il nous faut les écouter. É o que a casa oferece est un petit bout de Brésil à emporter dans le creux de l’oreille.