Girl Band est devenu Gilla Band, un changement de nom qui répond (d’après ce qu’on a lu) à une sorte de refondation, presque imaginaire, puisque pas grand chose ni personne n’a changé dans le quatuor irlandais mené par Dara Kiely, depuis ses débuts il y a 7 ou 8 ans maintenant.
Most Normal est bien le successeur de The Talkies, dernier album en studio officiel du groupe, qui avait entretemps sorti un impeccable live gorgé de chansons rares voire inédites. Un nouveau nom pour un nouvel album, toujours chez Rough Trade, mais avec des intentions intactes, c’est ainsi qu’on décrirait Most Normal. Quelque part entre la Fat White Family des débuts et les déglingos arboricoles de Snapped Ankles, le Gilla Band est peut-être la grande affaire post-punk, expérimentale et psychédélique britannique. Les Irlandais entament ce disque pied au plancher (et la tête collé serrée contre les enceintes à s’en faire péter les oreilles/orteils) avec un The Gum abrupt et peu affable. Les temps sont agités et il ne faut pas compter sur Gilla Band pour vous réconforter. Most Normal est presque partout un album qui mise sur la désorientation, un album qui rudoie, qui maltraite et ne facilite pas une écoute apaisée.
La production réalisée par le bassiste lui-même est abrasive, volontairement crachottante et parasitée par des sons extérieurs à l’image du single Eight Fivers, partiellement inaudible et sur lequel Dara Keily égrène les noms de franchise cheap où il s’est acheté des fringues.
I spent all my money on
Shit clothes, shit clothes, shit clothes, shit clothes I put them in the wash In a brand new Bosch But all my money on Shit clothes, shit clothes, shit clothes, shit clothes Shit clothes, shit clothes, shit clothes, shit clothesEntre jeux de mots chantés slammés assez géniaux (Backwash) et énumérations, Gilla Band lorgne autant du côté de The Fall (en plus pop et moins radical) que des Sleaford Mods. La pulsation est entretenue, sauvage et primitive, souvent à l’aide d’une percussion assez rudimentaire et tenue tout du long. Cela donne des morceaux modernes car hypnotiques mais pas si évidents à suivre/aimer dans la durée. Sur Gushie, il pleut des grésillements (ou du vent) dans le micro pendant une bonne minute. Bin Liner Fashion prolonge l’obsession du groupe pour les fringues bon marché, tandis que Keily chante tantôt comme s’il était John Cooper Clarke (en beaucoup moins littéraire) ou un authentique dingo à la Jay Reatard. Difficile de savoir au juste si on se tient en face d’un groupe de génie ou devant une sorte d’imposture. Capgras est littéralement branché sur courant alternatif et fait se dresser les cheveux sur la tête à trois kilomètres à la ronde. Il y a une dimension expérimentale et technologique (voire industrielle) qui s’exprime dans certains titres avec souvent un vrai bonheur, ce qui n’exclut pas, parfois, qu’on retombe (presque par hasard) sur un vrai bon titre de rock traditionnel, à l’image de l’excité The Weirds qui fait penser à du Wu Lyf.
Le groupe est de toute façon un peu moins convaincant lorsqu’il propose des chansons relativement classiques comme sur le bavard I Was Away que lorsqu’il balance la sauce à la va vite ou jongle entre les référents. Notre titre préféré, Almost Soon, est ainsi un morceau qui ne ressemble à rien de connu, punk et tribal, évoquant ce qu’on imagine être le grand âge.
Deaf
I heard that you’re deaf, but not dead enough
I’m cooking books under the stove
It’s weird to be old
I got slow to fast
Got flagged at half mast
He’s chalking up
He’s blind by looks
Les paroles sont presque inaudibles et de toute façon hermétiques, rappelant les associations d’idées et de sons de Mark E. Smith. C’est lorsqu’il s’approche à ce point d’une sorte de folie maniaque MAIS déterminée que Gilla Band est le meilleur. Et c’est heureusement ce à quoi le groupe s’ingénie ici. Pratfall est un brouillon de chanson maquillé comme un chant pour enfants qui n’a aucun sens et s’échoue sur le final et génial Post Ryan, le seul véritable tube de la sélection, sur lequel le chanteur refait un point sur sa folie, ses internements, sa dépression et ses prescriptions de médicaments.
Comme chez Snapped Ankles, on sent parfois dans les manières du Gilla Band l’histoire du rock anglais qui frisonne, entre les fifties et aujourd’hui. Ces instants sont précieux et emplis de grâce, dessinant un futur du genre, disgracieux et foncièrement irrespectueux. Gilla Band prolonge à sa manière le punk originel en contournant le son de l’époque par la voie/voix de la folie. Il fait semblant de cracher sur à peu près tout ce qui se fait pour rendre un hommage en creux aux artisans disparus, aux génies méconnus et aux infatigables têtes chercheuses que l’Histoire a oubliés trop vite.
Most Normal est un disque qui vous emmerde et ne s’en cache pas. Mais c’est aussi un beau disque libre et effronté qui rappelle sur chaque note ou presque que l’indépendance (avant qu’on ne la range dans la case indé) n’en faisait qu’à sa tête, quitte à être folle à lier. Gilla Band est tombé dans la marmite psychédélique et punk dès l’enfance. Ceux qui lui ont permis de reboire de la potion sont inconscients des conséquences.