A partir de quand l’esprit originel n’est plus et qu’il serait plus honnête de mettre terme à un projet artistique pour commencer une nouvelle aventure ?
On connait des artistes qui démultiplient les identités au gré des collaborations, voire même de leurs envies musicales du moment et de la tonalité de leurs compositions. On s’évertue alors à suivre le fil de leurs rencontres et de leurs troubles schizophréniques. A contrario, d’autres sont capables de changer complétement le line-up du « groupe » qu’ils avaient fondé et de passer du mambo au death-metal sans avoir la prévenance pour l’auditeur d’annoncer ces revirements par un changement de patronyme.
Que les aficionados de Hater ne s’inquiètent pas outre mesure, il n’y pas (totalement) tromperie sur la marchandise. Mais quand même, on peut légitimement s’interroger sur ce que les Suédois ont voulu signifier en baptisant leur troisième album Sincere (Fire) alors que la moitié des quatre membres du groupe a changé depuis la parution de Siesta en 2018.
Alors qu’on avait salué la fragilité des compositions du groupe, voire même qu’on pouvait parfois même craindre des inflexions qui confineraient à la mièvrerie, Hater se met à bander les muscles. A l’entame de l’album bodybuildé par le mixage de John Cornfield (qui de The Verve, à Supergrass, en passant par New Model Army et Muse, n’a pas toujours fait dans la retenue), on pointerait plus facilement les filiations avec le noisy-rock britannique des 90’s marqué par l’influence de My Bloody Valentine ou Ride que la délicatesse de Frente!, The Innocence Mission ou The Sundays qu’on avait pris pour habitude de citer pour décrire l’univers des Suédois. Pour autant, derrière cette batterie qui roule à vive allure aux côtés de la basse qui tente de stabiliser les embardées de guitares frondeuses, la voix de Caroline Landahl dévoile une fêlure béante au détour de Bad Luck, deuxième single lâché assez vite dans cet album qui égratigne sacrément l’image sage des poppeux scandinaves. Sur Brave Blood, qui est chargé d’ouvrir la face B de la version vinyle, les 3 garçons avancent d’un pas pour mieux protéger leur délicieuse chanteuse dans une posture qui évoque immanquablement Slowdive. Le tempo est parfois même soutenu, propulsé par une rythmique binaire que la chanteuse tente de suivre, pas loin de l’essoufflement (Far From A Mind). Mais une fois passé Summer Turns to Heartburn et sa longue digression psychédélique et narcotique, la jeune femme se met à nu, dévoile ses doutes et faiblesses. Un frisson parcourt l’épiderme lorsque la voix s’étrangle un peu, pas loin du sanglot qui renvoie à la fragilité de l’adolescence autant qu’il fait monter une poussée érotique. On a alors qu’une seule envie : l’enlacer pour l’inciter à nicher sa tête dans le creux de notre épaule et de humer sa bonde chevelure. Mais déjà, elle s’échappe, fait une moue affriolante et se déhanche sur une mélodie syncopée comme aux plus heures de The Stone Roses.
Décidément, avec une telle construction, Sincere dévoile une personnalité complexe, qui lui permettra probablement de supporter l’usure du temps et des écoutes en se débarrassant des effets de modes et se jouant des clichés. Si les précédentes réalisations du groupe tenaient de la romance, peut-être bien qu’il s’agît désormais d’une relation au long-cours.