Entamée comme une expérience nostalgique et poétique tournée vers la musique des années 80, Human Don’t Be Angry est devenue une aventure scénique, audacieuse et pleine de charme. Ce troisième album qui succède au déjà assez austère (mais superbe) Electric Blue de 2015 (et au débridé Bananas de l’an dernier) ne devrait convaincre personne de booker Malcolm Middleton pour un mariage ou un réveillon de nouvel an. Le programme est annoncé d’emblée par son auteur : « cet album est un fiasco principalement instrumental qui explore ce qu’il y a de mortel (et de chiant ?) dans le jeu de guitares ». Difficile là-dessus d’attirer le chaland ! Guitar Variations fonctionne bien comme un journal intime à la guitare, plus que jamais comme un carnet de notes dans lequel Middleton, éternel dépressif, gribouille des motifs, des thèmes qui, presque malgré lui, forment, sans qu’il leur ait demandé quoi que ce soit, des chansons magnifiques.
Guitar Variations est intéressant à cet égard car on y voit des morceaux prendre corps sans la permission de leur interprète. On ne dit pas que Middleton n’y est pour rien là-dedans mais on parierait bien que ce sont ses doigts et son oreille qui écrivent pour lui. You’ll Find The Right Note ressemble à une séance d’accordage où l’on réglerait aussi la hauteur du tabouret. L’oreille cherche et compose au final une séquence-boucle minimaliste qui fonctionne au sens où elle crée une proximité immédiate entre l’auditeur et l’instrument. Cynical n’est rien d’autre qu’une splendide progression instrumentale, une leçon de choses qu’on regarde s’éveiller avec les yeux ébahis et les soies qui frissonnent. Il faut plus de quatre minutes pour que la ligne de synthé réussisse à intéresser la guitare et dans la répétition, ne renvoie à ces années 80 fantasmées qui conservent chez Middleton la matrice des émotions et des émois. A Little Cheery Upper, qui suit, est évidemment une vaste blague. La pièce, d’une beauté économe de plus de huit minutes, est magnifique et rappelle les expérimentations de Stephen Jones avec Black Reindeer. La guitare remplace le clavier qui conduit tout de même mais l’intention est la même : il s’agit d’aller chercher quelque chose de naïf et d’enfantin au fin fond d’un monde qui a dix mille ans et rend l’âme enseveli sous le cynisme et l’esprit de sérieux. Middleton donne le sentiment qu’il ne fait que passer. Human Don’t Be Angry est presque un groupe de music new age à ce stade tant il se dégage des notes concédées au temps de sérénité et de maîtrise.
On sait que Middleton a remplacé la méditation par le dessin mais sa musique qui se consomme idéalement, comme il l’écrit, « à l’horizontale et par un jour de pluie », agit comme une séance de thérapie, apaisante et finalement planante. Qu’on écoute Heart Outside ou le synth folk lumineux de Bum A Ride (la chanson phare du disque quelque part entre les Go-Betweens et Felt), l’album donne envie de se retirer toutes affaires cessantes, de se glisser sous la couette la plus proche et de caresser avec passion (ce) qui se trouvera dessous. Come On Over To My Place formule par son titre explicitement cette invitation à ne pas voyager, à juste se planter là pour dormir et profiter du confort du cocon. Même seul, nous sommes toujours plusieurs, semble chanter Middleton. La solitude est habitée et habitable. « Come on break my heart », sourit-il ici. A Piece For Two Guitars célèbre l’ennui dans ce qu’il a de plus pur : c’est un morceau informe de près de onze minutes et qui ne présente absolument AUCUN intérêt. Les deux guitares convoquées pour l’occasion se répondent à dix miles de distance plus qu’elles ne jouent ensemble, engageant un dialogue de sourds qui constitue la vraie limite du disque : à qui s’adresse-t-on ici ? De qui se moque-t-on ? Est-ce que la solitude se partage ou est-ce qu’on ne fait finalement qu’imposer le récit de la sienne aux autres ?
Certains se feront rembourser leur achat mais Human Don’t Be Angry est tout sauf une imposture. Preuve en est que Guitar Variations (qui est presque tout autant une affaire de claviers que de guitare) se conclut en beauté et en public (pendant un dîner, dans un bar-restaurant) sur quelques notes déposées en guise de règlement du différend sur le coin de la table. Hotel est un bonheur de délicatesse, un plaisir fugace, à peine entrevu qu’il s’oublie et se décompose devant nos yeux.
Guitar Variations fait partie de ces disques qu’on ne conseille à personne d’acheter, à la fois parce qu’on n’est pas certains à 100% qu’ils le méritent, mais plus sûrement parce qu’on veut les garder pour soi et les écouter avec ceux qu’on aime pour voir ce qu’ils en pensent.