John Cooper Clarke / I Wanna Be Yours
[Picador]

6.8 Note de l'auteur
6.8

John Cooper Clarke - I Wanna Be YoursOn attendait énormément de cette autobiographie de celui que d’aucuns considèrent comme l’un des grands poètes anglais de ces quatre dernières décennies. John Cooper Clarke dont on avait vanté le génie infectieux et le débit mitraillette pour la sortie de son indispensable Anthologia est, quoi qu’on en pense, le plus grand (le seul) authentique poète punk de l’âge moderne, une sorte de Keith Richards du spoken word, un héros ultralooké, post gothique, qui a, désormais, ouvert pour les meilleurs et pires groupes de la planète, en présentant avec courage, audace, témérité et un certain sens du professionnalisme, un set de pure poésie à l’heure où les spectateurs éméchés attendent la tête d’affiche.

A bientôt 72 ans, le temps du bilan ou de se raconter du moins était venu et c’est ce que s’applique à faire Clarke à travers cette bio, I Wanna Be Yours, qui reprend l’un de ses beaux poèmes les plus connus, une chouette histoire d’amour dont on ne résiste pas à l’envie de copier quelques vers :

I wanna be your vacuum cleaner
Breathing in your dust
I wanna be your Ford Cortina
I will never rust
If you like your coffee hot
Let me be your coffee pot
You call the shots
I wanna be yours
I wanna be your raincoat
For those frequent rainy days
I wanna be your dreamboat
When you want to sail away
Let me be your teddy bear
Take me with you anywhere
I don’t care
I wanna be yours

D’une telle plume, on attendait donc beaucoup, et sûrement trop. Si la qualité d’écriture et la verve sont au rendez-vous, il y a des personnages qui nous semblent de loin plus grands que la vie qu’ils ont menée. Et c’est un peu ce qui nous arrive à la lecture de cette biographie : on s’était faits des idées, on avait fantasmé une foultitude d’anecdotes, de l’aventure, de la passion, une grande revanche sur la vie et l’art, un triomphe de la poésie sur le conservatisme, du sexe et  de l’humour…. Raté, ou pas tout à fait, mais la vie de John Cooper Clarke (on le savait) n’est finalement pas aussi rock n’roll qu’on l’imaginait.

Enfance de l’art

La peinture de l’enfance et des débuts d’artiste, qui est souvent la partie la moins gratifiante dans ce genre d’exercice, est finalement la plus convaincante, la plus jouissive, portée qu’elle est par la formidable aisance que dégage l’écriture de l’auteur. Enfant de Salford (comme Peter Hook et Mark E. Smith, entre autres), John Cooper Clarke survit à une nature maladive avant d’être converti à la poésie par un professeur inspirant. De là, il s’infiltre, alors qu’il travaille comme technicien dans un labo de la Fac, dans les cabarets/cafés qui pratiquent alors (et déjà) des séances ouvertes pour réaliser des sortes de stand up poétiques, exercice casse-gueule s’il en est, dans la mesure où le monde de l’époque (comme aujourd’hui) souhaite avant tout entendre des blagues et voir des comiques. Heureusement pour Clarke, le légendaire (et controversé) humoriste de Manchester Bernard Manning (que les amateurs de musique indé connaissent au moins pour sa parodie géniale de Morrissey) se laisse convaincre et le soutient en le maintenant à l’affiche. De fil en aiguille, la carrière de Clarke décolle plutôt rapidement et lui donne l’occasion très vite de signer quelques albums marquants de ses performances, sous l’égide bienveillante (et funky) de Martin Hannett. La relation entre les deux hommes est décrite de manière plutôt intéressante, notamment parce que Clarke n’est pas très mobilisé sur la mise en musique de ce qu’il considère comme un exercice purement verbal et qui est bien plus pertinent a capella. L’ascension artistique du bonhomme s’accompagne d’un récit assez passionnant sur les années de galère puis l’inscription dans une vie qui sera celle de l’adulte et poète professionnel : une bohème pouilleuse, rock et bientôt marquée par une passion qui restera longtemps cachée pour la came et l’héroïne en particulier. Clarke devient LE poète professionnel de son temps, embarqué dans les bagages de tout ce que l’intelligentsia rock punk anglaise comptera de talents. Il devient une figure incontournable des premières parties mais aussi la coqueluche de tout bon festival de poésie ou de je ne sais quoi qui aspire à une sorte de modernité.

Zero Hero à l’infini

L’addiction de John Cooper Clarke prend assez vite de la place (trop de place?) dans le récit écrasant le livre et la vie du gaillard. On a l’habitude de tout ça après avoir lu les biographies de Peter Perrett, de Johnny Thunders, de Shane MacGowan ou de Shaun Ryder. Mais ce qui se produit ici met un grand coup sur la tête de ce I Wanna Be Yours qui se perd un peu au fur et à mesure que Clarke perd son appétit pour la poésie, pour l’amour, pour les relations humaines et l’humour. Une bonne partie du livre est déroulée ainsi en mode automatique, évoquant les tournées, les rencontres (on aime son amitié indéfectible pour Mark E. Smith), les approvisionnements difficiles, s’enlisant quelque peu dans un récit attendu et finalement aussi peu cocasse que surprenant. Clarke choisit de parler came sans dissimuler quoi que ce soit mais sans en rajoutant dans l’évocation de difficultés qui n’existent peut-être pas : il achète, consomme et s’en contente. Ce n’est donc ni tragique, ni vraiment exaltant. On s’éveille un tantinet lorsque Cooper Clarke parle avec tendresse de sa rencontre avec la légendaire Nico avec laquelle il vivra quelques temps, tout entier absorbés par leur passion commune et poudrée. Peu de révélations là encore et surtout rien de scabreux. Pas un mot sur la question qui occupe l’esprit : ont-ils ou pas couché ensemble ? Clarke avait prétendu que non, sans en être certain. L’héroïne n’est pas réputée pour faciliter les transports. Mais peu importe. Ce qui plombe le livre, c’est l’absence complète de réflexion sur l’oeuvre qui se joue les premières années, sur l’écriture elle-même, son inspiration, la manière dont elle s’arrête pendant plus de 20 ans et rejaillit depuis deux décennies. L’artiste lui-même est souvent mal placé pour commenter son oeuvre. Ce n’est pas à lui de faire ça mais on aurait aimé que Cooper Clarke nous en dise plus sur son travail, sur sa manière de lire la vie, de parler du monde. Au lieu de ça, I Wanna Be Yours a ce côté désinvolte et un peu détaché des grands camés, pas même intéressés par leur propre vie, comme si tout cela (les années 80-90) n’avait pas réellement existé ou s’était perdu dans une sorte de brume vaguement rock n’roll.

N’exagérons rien cependant : on a entre les mains un texte qui reste très agréable à lire, stimulant et pétillant la plupart du temps. La plume est alerte pour décrire le succès, la posture de l’écrivain en jeune homme puis en vieille légende, l’amitié, le temps qui passe, l’usure et puis le retour aux affaires. Devenu une légende urbaine (à défaut d’être tout à fait vivante), Clarke s’offre un final digne d’une reborn chrétien avec désintoxication, mariage, découverte des joies simples de la vie (une balade en bord de mer très cul-cul la praline), un enfant pour la route. Sa rédemption est impeccable d’intelligence.

La biographie n’étant disponible qu’en anglais (et on imagine qu’elle ne risque pas d’être traduite), sa lecture pour un français moyen est plus une coquetterie qu’autre chose. Il faut en revanche explorer l’œuvre et écouter John Cooper Clarke, voire aller l’entendre déclamer sur une scène anglaise quand ce sera possible. Son phrasé, sa diction, ses images sont encore plus remarquables que son personnage iconique.

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