Kofs / Santé & Bonheur
[Universal Music]

6 Note de l'auteur
6

Kofs - Santé & bonheurLe meilleur rappeur marseillais est de retour. Bien plus doué que Jul, plus pertinent qu’IAM (du rap de centre-ville), et doté d’un organe rocailleux à souhait, KOFS est probablement ce qui se fait de mieux actuellement dans le rap français. Son nouvel album, Santé & Bonheur, est puissant, remarquablement arrangé, marrant, bien écrit. Il constitue un excellent exemple de compromis entre l’air du temps et l’exigence artistique, comme s’il était maintenant possible, dans le cadre d’un rap qui s’affiche en grand, dans les supermarchés et le métro, de poser des textes politiques, personnels, sexuels ou offensants, et des instrus qui assument une belle variété sans honte.

Qu’on ne s’emballe pas outre mesure : KOFS, le Garou d’Air Bel (un quartier de Marseille), évolue dans un registre contemporain où l’on chante à la fois en voix pleine et souvent sous un tapis d’effets horribles (un mec plein), un rap où les sonorités latino débiles (Bellissima) à la Iglesias peuvent faire irruption dans une séquence qui relèverait sinon d’un bon vieux climat gangsta. Santé & Bonheur souffre aussi de ce nouveau symptôme qui veut que les majors ne sortent que des albums rap trop longs et mal décantés. Avec ses 16 titres, Santé & Bonheur ne fait pas exception et connaît plusieurs trous d’air sur sa seconde moitié.  A ces réserves près, Santé & Bonheur a de nombreux atouts, parmi lesquels des featurings bien charpentés et qui viennent, à chaque fois, apporter un élan nouveau au disque. Alonzo vient donner, sur la fin, un coup de fouet à Tout s’achète, tandis que Kaaris sublime un Embourgeoisé en forme de défi au rap institutionnel. Naps fait un boulot remarquable sur Riz au lait, une pièce formidable qui constitue, entre nostalgie de l’enfance et déclaration d’espérance, l’un des morceaux (trap) les plus souriants, dansants et réussis du disque.

KOFS est un rappeur qui, selon les codes d’aujourd’hui, est capable de montrer les muscles, de parler vie de quartier, came, gonzesses, avec la même aisance qu’il sert des romances et des chansons guimauve et sentimentales. Sa voix évolue entre celle de Garou et la puissance troublante d’un Samuel Herring (le chanteur de Future Islands) et est un parfait instrument pour rudoyer et caresser. L’ouverture du disque, Santé Bonheur, est impeccable, hargneuse et violente, réaliste et extralucide. KOFS parle couilles, marquage de territoire et criminalité. Son flow est fluide, sec et décidé. « Les petits ils ont gé-chan. Ils volent plus à Auchan, font des que-trus méchants…. J’ai vu des mecs porter des couilles à des gens qui en avaient pas… C’est le quartier on est comme ça on est des chiens. » Le texte est somptueux de bout en bout. L’exécution frôle la perfection. Il y a des titres splendides sur ce disque, drôle et sensibles comme Hassan II (« si tu n’étais pas le frère de mon poto, je t’aurais bien niqué ta vie/ Dis moi pourquoi t’as les cernes/ A l’époque je te donnais ma vie/ Aujourd’hui je ne te donnerai même pas du sel./ Tu risques de finir une balle dans le front »), mélodiques et aériens comme le lo-fi Rnb Au Quartier. La production dégage une belle justesse, discrète, sobre et mainstream, sur Rendez pas fou.

KOFS prend son temps et, par rapport à ses précédents albums, a tendance à ralentir le rythme et à développer une approche plus sereine et appliquée de ses thèmes. L’identité marseillaise est revendiquée et la nostalgie surexploitée mais la recherche d’émotion omniprésente. Cela ne fonctionne pas toujours (le médiocre et testostéroné Bosniaque) mais il y a quelques belles séquences qui conjuguent une approche opportuniste et industrialisée du son (synthé, lyrisme de pacotille) et une vraie émotion lexicale. Yemma en est un bon exemple. On est dans ce que le rap français fait de mieux (et de pire) : parler prison, caillera sur un fond d’amour de sa maman. KOFS ne vaut souvent pas mieux que ça mais se détache du lot par son écriture et la sincérité qui s’en dégage.

Santé & Bonheur ne révolutionne rien du tout. Il manque sûrement un peu d’originalité et de caractère mais réussit à trouver un équilibre assez harmonieux dans sa recherche de diversité. KOFS, comme d’autres avant lui, y figure au final plus comme un cœur d’artichaut que comme un bad boy. C’est le lot de tous ces types dès qu’ils entrent dans le jeu de l’industrie. Ils finissent par être écoutés par des gamins et doivent polir leur discours. KOFS s’en tire assez bien et pourrait s’imposer comme l’un des ténors de cette nouvelle variété française. La nuit, le dernier morceau du disque, est d’une beauté redoutable. Ces quatre minutes sont une promesse pour l’avenir : un rap dominant aussi puissant et offensif que le rap indé. On ne met pas deux euros là-dessus mais on peut toujours rêver.

Tracklist
01. Santé Bonheur
02. Au Quartier
03. Riz au Lait (feat Naps)
04. Rendez pas fou
05. Bosniaque
06. Embourgeoisé (feat Kaaris)
07. Yemma
08. Déçu
09. Détail (feat Keezy)
10. Hassan II
11. Pardonne-moi
12. Un mec plein (feat Kamel l’ancien)
13. Bellissima
14. Les condés
15. Tout s’achète (feat Alonzo)
16. La nuit
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