On avait rêvé d’un film sauvage, dérangé et arty sur l’incroyable odyssée des New York Dolls et leur leader-chanteur David Johansen mais Martin Scorsese et David Tedeschi nous offrent tout autre chose, un documentaire soigné, intéressant et appliqué organisé autour d’un concert de Buster Poindexter, l’alter ego cheesy et crooner kitsch, avec lequel David Johansen aborda la seconde moitié des années 80 pour se refaire une santé et composer trois ou quatre albums jusqu’à la fin des années 90.
Personality Crisis : One Night Only utilise comme fil rouge un concert donné par Buster Poindexter au très chic et select Café Carlyle de New York, endroit où il semble que Scorsese et Johansen aient fait connaissance. Bâti comme un one-man show, le rendez-vous s’organise autour de chansons tirées de toute la carrière du chanteur et de récits et anecdotes donnés depuis la scène par un Johansen cabotin en diable et qui amuse la galerie dans un écrin ultrasophistiqué, posh et précieux. Entre ces séquences nombreuses qui occupent 80% de la musique qu’on entendra (en mode cheesy- café concert donc -ce qui fait beaucoup) les documentaristes introduisent des interviews plus récentes de Johansen et de quelques uns de ses proches qui racontent son histoire à grosses mailles mais reviennent surtout sur le temps qui passe et la distance qui s’est insinuée entre le souvenir du New York des années 70 et celui d’aujourd’hui.
Le documentaire n’est pas tant un récit sur les New York Dolls et le travail de Johansen qu’un tableau vivant de l’artiste qui vieillit. On observe ainsi avec attention les effets du temps sur son visage et son corps, la voix qui s’altère, l’ironie élégante qui succède à la flamme rebelle des débuts, la retenue philosophique qui remplace la fougue, en même temps qu’on peut s’amuser avec les réalisateurs à suivre les « constantes » ou lignes de fuite qui relient les différents Johansen qu’on nous donne à voir. Cette idée d’une continuité est particulièrement saisie dans un final plutôt bien fichu qui fait se succéder sur Personality Crisis trois Johansen de trois époques différentes, « l’original » où celui qu’on considère comme tel, glam et habillé en femme, celui des années 80, plus propre sur lui et glabre et le Buster Poindexter fâné et presque désabusé de la dernière ligne droite. Le film n’a ni l’objectif véritable de dire la vie qu’ils ont menée (il fait le strict minimum biographique pour qu’on ait l’impression d’apprendre deux ou trois choses qu’on ne connaissait pas), ni celui de porter une quelconque appréciation sur l’oeuvre de Johansen. C’est le personnage lui-même qui concentre toute l’attention, comme s’il s’agissait de filmer une créature légendaire, un être insaisissable, et d’avouer, pour ainsi dire, que la tentative documentaire s’agissant d’un tel personnage, d’un comédien, d’un usurpateur était peine perdue.
Personality Crisis est un film qui parle plus du spectacle et de ses ressorts, des travestissements et du mensonge qu’il ne parle d’histoire ou de culture pop. Trop heureux d’avoir Johansen pour eux tout seuls, les réalisateurs s’arrêtent devant comme on filmerait un lion dans un zoo, en espérant qu’en le laissant causer et se raconter, ils apprendront quelque chose. Mais Johansen donne assez peu et n’est pas le mieux placé pour parler de ce qu’il représente. Il ronronne, il s’ébroue la crinière et gonfle la poitrine pour la vitrine. Les moments les plus intelligents (trop rares malheureusement) sont ceux où des témoins extérieurs, comme Morrissey qu’on retrouve au début du film, viennent aider à saisir un contexte qui partout ailleurs souffre de n’être mis en perspective que depuis le point de vue de Johansen.
Au final, le film est intriguant, presque original dans sa manière de refuser de raconter quoi que ce soit, fascinant parce qu’il glisse à la surface des choses et se laisse aspirer sans résister dans la petite mise en scène d’un Buster Poindexter qui choisit de garder ses secrets, mais aussi foncièrement décevant par son refus d’expliquer, voire même de tenter de saisir la nature des choses. Pour dire la vérité, le documentaire se regarde mais pas beaucoup plus. Faut-il chercher à comprendre les Dolls ? Est-ce seulement possible ? Les moments les plus intéressants du film sont ceux où le documentaire prend une minute ou deux pour laisser la parole aux images d’archives. Cela veut tout dire.