[Soup Music #12] – MHD / Mansa
[Universal Music / Capitol Music France]

4.1 Note de l'auteur
4.1

MHD - MansaMais où est passé le prince conquérant et fringant de l’afro-trap ? Où sont les mots incendiaires, les rythmiques affolantes et les attaques enflammées qu’on avait découverts en 2015 ? Mansa, le nouvel album de MHD, est un petit miracle, parce qu’après les événements survenus à l’été 2018 ayant conduit à son incarcération en détention provisoire au début de l’année 2019, on n’avait pas donné cher du rappeur parisien. C’est malheureusement un album trop sombre et malade pour qu’on y voit autre chose qu’une tentative de guérison et un exorcisme.

A seulement 26 ans, MHD a connu une ascension aussi fulgurante que sa dégringolade personnelle aura été soudaine et rude. Après de longs mois de prison, MHD est libéré à l’été 2020 dans l’attente d’un procès auquel il sera mis en accusation pour homicide volontaire et qui menace donc de le rattraper très vite. Difficile dès lors de célébrer et savourer une liberté retrouvée à travers un album qui ne peut se concevoir que comme un grand moment de transition. Mansa renvoie à l’histoire éternelle du Mali. Mansa Moussa est l’un des plus célèbres empereur du royaume, connu pour un règne d’une vingtaine d’années au début du XIVème siècle où le pays prospère, agrandit ses frontières et s’enrichit. Pas certain que l’appel à cette figure légendaire soit raccord avec le sentiment de faire profil bas et de parler de ses états d’âme qui caractérise le disque. Mansa est terne et presque mou du genou comparé à l’énergie jusqu’ici déployée par le jeune homme, éteint par rapport à la force et à la vitalité de 19. C’est un album mélancolique et qui, à force de dévoiler les états d’âme, n’évite pas une certaine mièvrerie.

Au risque de faire dans le sentimentalisme, MHD touche plus qu’il n’effraie ou épate ici. Le disque démarre par un Petit Coeur tout tristounet et petit bras, romantique en diable et qui constitue une jolie balade dansante et downtempo. On vous passera les dizaines de références explicites ou plus discrètes au séjour en prison, à la décadence, à la procédure judiciaire ou à la trahison des amis. Mansa est fortement marqué par l’expérience traumatique du chanteur et ne parle pour ainsi dire que de ça. Face à l’effondrement de l’homme qui conduit à un affaissement complet des dynamiques mélodiques et du chant, MHD tente de survivre et pousse à l’aveuglette quelques punchlines ou vers qui rappellent sa brillance passée. Sur l’assez chouette Pololo, il retrouve par intermittence son goût pour le luxe et les gros cigares, les couleurs et l’humour viril. Mais personne n’y croit. Au lieu de nous faire frissonner et de nous donner la frite, cet album de MHD fout le bourdon et joue le contre-emploi malgré lui, au point de griller tous ses effets. On a envie de pleurer toutes les larmes de notre corps sur le joli Elle et on déprime sévère sur l’amer Beyoncé. Ceux qui pensaient se booster à coup d’afro-trap survolté pourront aller se rhabiller. MHD est plus déprimant que Léo Ferré et Morrissey réunis.

Le premier single, Afro Trap Part 11, était un leurre, une vraie tromperie sur la marchandise qui, du reste, ne fonctionne qu’à moitié tant le morceau retombe vite. Le reste est un désastre : de Jamais à Tudo Bem, on nage en eaux profondes. Le flow de MHD n’est pas dénué d’élégance. Il garde son agilité et sa puissance évocatrice. Les textes sont corrects mais n’ont rien d’exceptionnel. C’était la rythmique et la dynamique de livraison qui faisaient la différence et elles n’y sont plus. Fiesta essaie lui aussi de ressusciter un passé enfoui. Sans succès. Les titres de remplissage s’enchaînent. L’écoute n’est pas désagréable mais n’appelle aucune réaction. MHD fait de la variété, de la chanson française et encore, de façon assez maladroite. Thieba est à cet égard une jolie bluette qui parle de l’âge adulte avec justesse. Dire du mal de quelqu’un qui évoque avec amour et tendresse de sa mère n’est sans doute pas ce qu’il y a de mieux à faire mais il manque de densité, de profondeur et d’amplitude pour que cette musique fasse mouche auprès d’adultes normalement constitués. On pourra sauver Sagacité et Illimité surtout qui ramènent l’artiste à de vrais enjeux : la moula et tout ça. Mais le tout finit par mettre mal à l’aise et à nous changer en de sinistres voyeurs. MHD chante sur l’os. On entend les morceaux qui se dispersent et le verre qui se fend. 9min est à cet égard terrible, sublime et d’une sincérité magique, un beau titre-confession habité et écrit avec les tripes. Chanté quasiment a capella, le titre fait penser à un Grand Corps Malade sans l’option résilience, un mélange bouillant d’amertume recuite, d’esprit de revanche et de fougue. Il y a une beauté hypnotique dans ce long pamphlet, une dignité immense et ce qu’on doit bien considérer comme une expression d’un talent considérable. Mais il y a aussi une vraie indécence à recevoir tout cela ainsi. Mansa laisse ce sentiment étrange et gênant d’un artiste qui n’a pas fait le pas nécessaire pour séparer un peu plus sa vie et son art, sa voix et sa parole.

Les grands moments de ce disque sont beaux par accident. Ils sont beaux et justes parce qu’ils sont l’expression d’une souffrance qu’on ne demandait pas à partager à ce point. On espère que MHD va s’en tirer et qu’il ne finira pas totalement bouffé par sa part cachée. Mansa ne fera marrer personne. C’est un album tragique, de bout en bout.

Tracklist
01. Petit cœur
02. Elle
03. Pololo (feat Tiakola)
04. Beyoncé
05. Afro Trap Part 11 (King Kong)
06. Jamais
07. Fiesta (feat Naira Marley)
08. Tudo Bern
09. FNR
10. Thieba
11. Sagacité
12. Illimité
13. Wonder Mama (feat Adekunle Gold)
14. Tout Gâcher
15. 9 min
Écouter MHD - Mansa

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