C’est un fait, la scène pop parisienne a toujours été vivace ; normal pour une région si densément peuplée et une jeunesse mélomane qui a la chance d’accueillir nos groupes favoris pour ce qui apparait de plus en plus comme les uniques dates hexagonales de tournées dorénavant largement européennes. De quoi susciter des vocations et donner à tous ces jeunes gens bien biberonnés l’envie de suivre leurs ainés. Ça tombe bien, Hoorsees, quatuor pressé qui sort avec Big son troisième album en 3 ans, a clairement décidé de s’en inspirer. Le groupe qui ne dépareille pas auprès de ses petits camarades du label Howlin’ Banana qui les héberge, EggS ou Special Friends, des voisins d’En Attendant Ana ou des derniers venus Dog Park qui viennent d’annoncer leur premier album sur le label cousin Géographie apporte sa pierre à un édifice pop moderne objet de bien des ravalements de façade ces dernières années au point d’en faire l’un des plus beaux monuments du pays.
Si le groupe se distinguait sur Hoorsees en 2021 et A Superior Athlete l’année suivante par un son typiquement indé US ayant bercé bien des adolescences et traversé les âges jusqu’à toucher dorénavant les plus jeunes ébahis devant l’aisance mélodique d’un Weezer en mode rouleau compresseur ou d’un Pavement garant d’une bonhommie cool et en apparence seulement quelques peu détachée, Big marque clairement un tournant dans la discographie d’un groupe qui aborde le virage du troisième album avec l’intention de changer quelque peu les choses. Si Hoorsees garde une oreille et même un pied outre-Atlantique par l’intermédiaire du label new yorkais Kanine Records qui distribue ses albums chez l’oncle Sam, la principale influence marquante qui transpire de ce nouvel album est plutôt à chercher du côté de Versailles. Phoenix, modèle déjà daté mais toujours aussi vertueux à suivre pour toute une génération de musiciens désinhibés qui n’hésitent plus à répondre aux propositions de tournées américaines pour soutenir la sortie d’albums dorénavant coproduits par des labels US friands d’une certaine fraicheur continentale. Que l’on soit fan ou pas, difficile de ne pas reconnaitre le talent international de la bande de Thomas Mars mais impossible non plus de ne pas voir en un groupe comme Hoorsees un rejeton enfin à la hauteur.
L’idée ici n’est sans doute pas, encore, de partir à la conquête de la planète mais bien d’assumer, sans renier ses origines, une capacité à composer des morceaux plus mainstream et ambitieux soutenus par une électronique plus présente. Sur Big, Hoorsees ne révolutionne pas son identité musicale mais la fait quand même évoluer de façon parfois spectaculaire, notamment lorsqu’il laisse les rênes de ses titres peut-être les plus convaincants au chant complétement craquant de la bassiste Zoé Gilbert que l’on avait jusque-là que très peu entendue. En arrondissant les angles y compris sur les morceaux les plus rocks sur lesquels Alex Delamard se montre toujours aussi performant en petit frère spirituel d’un Julian Casablanca pas encore complétement usé, Hoorsees multiplie les formes d’expression d’une pop percutante qui manque rarement sa cible. Avec sa production soignée, puissante et presque luxueuse, l’album électrique file à toute allure quasiment sans à-coups comme la berline haut de gamme qui illustre sa pochette dont l’autonomie n’imposera pas la moindre pause avant un moment.
Charming City Life, incroyable morceau au sex-appeal infini nous avait mis la puce à l’oreille l’été dernier sur la désormais incontournable compilation estivale du label ; il n’est en réalité que l’une des têtes de gondole d’un album entièrement tourné vers un hédonisme musical qui ne demande qu’à s’exprimer pleinement. Souvent, les guitares restent un peu sales et stridentes, héritées d’un style garage typiquement new yorkais que renforce une rythmique post-punk aussi sobre qu’efficace. Cependant, a minima, nappes synthétiques et chœurs enlevés avec force « aaaaaaahhhh » et « ooouuuuuuh » viennent les adoucir dans un équilibre redoutablement convainquant et ce dès Movie’s Architecture en introduction sur lequel Zoé Gilbert tente, telle la Wendy Smith de la grande époque des tauliers Prefab Sprout, de nous attirer sur son île. Hoorsees n’a pas inventé la recette de ce post-punk plus lumineux et angélique que sombre et froid mais le groupe l’applique avec talent et conviction au service de mélodies habilement construites qui savent aussi sortir d’une construction plutôt classique comme sur Pretty Lights Of Innovation qui, pour rester dans la grosse pomme, parvient à faire cohabiter sans peine une structure de couplets façon Talking Heads et des refrains carrément noisy que ne renierait pas DIIV. Un ADN que partage le plus rêche Artschool qui traduit à lui seul l’irrésistible attirance des parisiens pour cet univers un rien stéréotypé d’un rock intello qui puise ses racines dans de multiples expressions arty mais qui a promu tant et tant de grandes figures contemporaines. Un univers pas si éloigné peut-être malgré les apparences de celui de l’Ikea Boy (après tout, il faut bien payer ses études dans des écoles parfois hors de prix), bonbon aussi doux qu’amer qui ne parvient jamais à choisir entre les guitares tranchantes et une mélodie, vocale en particulier qui vous caresse l’oreille du début à la fin. Tout au plus faudra-t-il regretter en fin de parcours une nécessaire gestion de l’autonomie car après la débauche d’énergie de tout un début d’album sans retenue, Hoorsees semble lever le pied sur des No Vacation et Presidential Holiday un peu plus faibles avant de redonner à l’approche de la station de recharge un coup de grâce sur le terminal Second Class qui n’en manque décidemment pas avec son refrain enjôleur et sa jolie montée électrique qui, par sa concision, évite le cliché de l’album qu’on ne sait pas trop comment achever.
Promis, on laissera à d’autres le soin d’employer les expressions éculées et dénuées de sens qui consisteraient à voir en Hoorsees « les nouveaux…. ». Néanmoins, avec Big, album diablement efficace, produit avec soin et qui casse le plafond de verre de deux premiers disques plutôt réussis mais qui ne portaient rien d’aussi ambitieux, le quatuor parisien franchit incontestablement une étape de taille en s’octroyant le droit de s’offrir de nouvelles perspectives même si le plus dur restera à faire : les atteindre et les dépasser. Une problématique qui dépasse souvent le strict cadre du talent musical et fait appel à d’autres facteurs, y compris aléatoires, dont on ne connait rien aujourd’hui. Mais le bolide électrique qui attend patiemment le feu vert au cœur de la nuit a de toute évidence de la ressource pour aller loin.