C’est un sentiment qui nous envahit tous un peu, à un moment ou un autre. Ce « plaisir coupable » qui nous fait aimer un groupe considéré comme un peu honteux si l’on s’en réfère aux critères drastiques de la police du bon goût. Il faut alors en profiter plutôt solitairement, cultivant cette discrétion assumée en un joli jardin secret que ne visitent que de rares confidents jusqu’au jour du coming out. On découvre alors, au cœur de cette marche des fiertés musicales, que l’on n’est pas seul ; qu’au moins, quelques-uns consentent apprécier telle ou telle période, ancienne forcément et, qu’au mieux quelques autres ont eux aussi religieusement écouté tous les albums jusqu’aux plus récents. Par exemple, au sein de la rédaction de Sun Burns Out, il se trouve, peut-être pas complétement par hasard, que Simple Minds pourrait avec quelques autres se retrouver à l’intersection de tous ces nuages matérialisant les groupes importants pour chacun des rédacteurs. On n’aura jamais fini de débattre sur les dates clés du groupe mais il suffit de se pencher sur la chronique du dernier album en date, Direction Of The Heart en 2022, à juste titre plutôt bien noté, pour comprendre que tout ne peut définitivement pas s’arrêter en 1983.
C’est pourtant la période qu’a choisie le nancéien Orwell pour cibler les six titres choisis de cet hommage / coming out, allant chercher la matière de son nouveau disque au cœur des jumeaux Sons and Fascination et Sister Feelings Call (1981), du précieux New Gold Dream (81-82-83-84) (1982) et du monumental Sparkle In the Rain (1983). La tracklist de Simple Minded que sortent conjointement les labels Hot Puma Records et Europop 2000 aurait pu être composée d’un million de combinaisons différentes (on laissera aux matheux matiques le soin de calculer cette probabilité avec pas moins de 19 albums studios et des dizaines de faces B) mais celle qui compte aujourd’hui est bien la sélection de Jérôme Didelot, puisant dans cette période faste et particulièrement productive deux tubes essentiels et quatre extraits d’albums, forcément moins connus, si ce n’est par les fans du groupe, pour réaliser un album délicat. Un album de reprise ; l’idée a quelque chose d’un peu désuet car si les compilations hommages ont toujours le vent en poupe, la digitalisation de la musique aidant, si parfois un groupe ou un artiste se prend d’envie de livrer à son public les diverses clés de son inspiration (Neon Lights en 2001 pour les écossais), rares sont les albums de reprise d’un groupe par un autre.
Simple Minds, qui ont eux aussi sorti leur album acoustique (sobrement nommé Acoustic en 2016) et qui s’est plusieurs fois laisser aller à l’exercice grandiloquent et plutôt imbuvable des Nights Of The Proms, fait depuis toujours partie de ces groupes revendiquant entre le studio et le live dont ils sont encore aujourd’hui des acharnés la nécessité de faire évoluer les titres, proposant pour eux mais surtout pour le public des versions retravaillées, rallongées, rapiécées, bodybuildées ou épurées, peu importe du moment que le public soit certain d’en avoir pour son argent et eux sans doute de ne pas tomber dans la routine après des centaines et des centaines de dates depuis la seconde partie des années 1970. Il faut voir comment dès Live In The City Of Light en 1987 ils réorchestraient complétement la première partie de Book Of Brillant Things dans une version qui tient encore la corde en concert ; comment en 2012 ils repartaient sur les routes avec la tournée 5 X 5 dont le tracklisting était uniquement composé de morceaux des cinq premiers albums réarrangés ; comment jusqu’en 2023, la claviériste Berenice Scott et la choriste Sarah Brown sublimaient le pourtant très héroïque Speed Your Love To Me (que l’on va retrouver ici) en une magnifique version acoustique à faire chialer dans les fosses. Bref, en un mot comme en cent, on peut déjà compter sur Simple Minds pour ne pas faire dans la routine.
Alors des reprises pour quoi faire ? On le sait, les chansons de l’adolescence sont toujours un peu plus que des chansons et s’encrent de façon indélébile dans l’imaginaire en construction. C’est alors la lecture d’une biographie du groupe qui a mis Jérôme Didelot sur la voie de ces tatouages musicaux que le temps et d’autres influences, plus fréquentables peut-être aux yeux de son habituel public avaient fini par recouvrir. Ici, clairement, il joue la carte de l’appropriation stylistique en s’entourant des habituels membres d’Orwell qui le suivent dans cette aventure. Il y a alors deux façons d’aborder le disque. Celles et ceux qui ne connaissent pas du tout, ou si peu Simple Minds seront d’abord sensibles à la patte habituelle d’Orwell, celle d’une pop très ouvragée et délicate, régulièrement soutenue par des cordes ambitieuses et des voix travaillées, parfois carrément groovy comme sur 20th Promised Land en ouverture sur lequel le duo contrebasse / orgue vintage s’avère redoutable.
Pour les habitués, anciens habitués peut-être des écossais, l’approche sera forcément différente. Il faut d’abord prendre du recul par rapport à ces morceaux issus d’une période qui n’est pas loin de faire l’unanimité même si le reproche est souvent fait à Sparkle In The Rain d’avoir ouvert en grand les portes des stades avec sa pochette chevaleresque et la production, tonique dirons-nous, d’un Steve Lillywhite depuis longtemps faiseur d’or ou en tout cas de nouveaux rêves dorés. La démarche est parfois proche de celle d’une Nouvelle Vague, eux qui s’étaient déjà attaqués à The American sur leur troisième album, cherchant à déconstruire les codes de la new wave britannique pour rebâtir d’une toute autre façon autour d’un squelette mélodique et rythmique. C’est le cas sur Big Sleep, titre à l’origine d’une belle densité, sommet incontestable de New Gold Dream mais qui n’aura jamais atteint l’aura des quatre grands tubes de l’album. C’est également le traitement réservé à Seeing Out The Angel qui échange sa parure électronique pour revêtir les atours d’un magnifique orchestre de toutes sortes de cordes divaguant à l’unisson en de délicats entrelacs n’ayant, pour le moins, rien à envier à la version originale.
Et puis il arrive aussi qu’Orwell s’aventure en prenant un peu plus de risques sur des contre-emplois assumés. Le Wonderful In Young Life de Sister Feelings Call, démesurément électrique et avant-gardiste en 1981 est ici traité, et ça sera la seule fois, sous un angle électronique pas toujours convainquant mais qui lui procure, comme à l’époque, une place un peu à part sur le disque. Mais c’est de façon assez logique les deux singles rouleaux compresseurs extraits de Sparkle In The Rain qui subissent les plus importantes revisites. Le sautillant et hyper-actif Up On The Catwalk n’est pas loin de perdre son rythme que seule une discrète et délicate batterie arrive à tenir, très loin en arrière-plan d’un piano omniprésent qui aurait peut-être suffit. Quant à la plus ancienne de ces reprises, en partie du coup à l’origine du projet, celle de Speed Your Love To Me, évidente réussite du disque, elle rejoint sans peine et dans une belle connivence la version live actuelle qu’interprètent les écossais et là où il était tout autant question de vitesse dans les paroles que dans le tempo irrésistiblement entrainant, Orwell pose les choses et prend son temps dans cette splendide version qui s’élève au son d’une guitare acoustique maitresse de son sujet et de chœurs absolument angéliques.
A l’heure du numérique, si l’idée même de mobiliser les moyens complets d’une sortie de disque pour un album de reprises peut questionner, on comprend vite que Jérôme Didelot a d’abord voulu se faire plaisir et qu’après tout, il est bien libre de ce faire ce qu’il veut, se rappeler ses débuts par lesquels tous les musiciens sont passés en reprenant pour se faire la main ses chansons préférées et assouvir cette idée qu’il était sans doute temps de rendre hommage à un groupe souvent dénigré et pourtant si important. Par sa concision, 6 morceaux en 30 minutes quand la tendance au remplissage et aux longueurs aurait pu être un écueil sur lequel les écossais se sont eux-mêmes parfois échoués, le disque va à l’essentiel, évite les redites et ne laisse pratiquement pas de place à l’ennui et aux interrogations. Ce faisant, Simple Minded et sa belle pochette s’inspirant joliment des codes graphiques de Sons And Fascination parviennent à s’affirmer comme un bel exercice de style qui parlera autant aux fans d’Orwell qu’à ceux de Simple Minds.
02. Big Sleep
03. Up On The Catwalk
04. Wonderful In Young Life
05. Speed Your Love To Me
06. Seeing Out The Angel