On n’a pas vraiment besoin de lire une critique pour savoir que Paul McCartney écrit de chouettes chansons. Mais l’ancien Beatles n’ayant signé pas moins de dix-sept disques de son nom avant celui-ci, et pas tous des chefs d’œuvre, sans doute a-t-on besoin d’étalonner ce III (album solo « véritable » qui suit I sorti en 1970, et II en 1980) pour savoir ce qu’on doit en attendre et en espérer.
Rattaché à une suite de disques qui correspond, à chaque fois chez McCartney, à la traversée d’une crise personnelle : séparation d’avec les Beatles pour le premier, séparation des Wings et arrestation au Japon pour le deuxième, III a été enregistré et partiellement écrit pendant le confinement. C’est un disque qui correspond ainsi plus à une crise générale qu’à une crise personnelle. Il n’évoque d’ailleurs aucun malaise, se situant plutôt comme une parenthèse créative et joyeuse, volée au trouble et à l’inquiétude ambiante mais aussi au temps qui passe. N’ayant pas grand-chose d’autre à faire, l’ancien Beatles a pris le temps de revenir sur des compositions accumulées en vue d’anciens projets pour les mener à son terme. Cela ne nous dit pas grand-chose sur le disque lui-même, si ce n’est qu’on se situe ici à 100% chez McCartney et qu’il fait tout tout seul à quelques exceptions, deux musiciens s’étant glissés il y a une trentaine d’années sur la bande de l’intemporel When Winter Comes.
Rien que pour cette raison, III vaut le coup. On n’a pas tous les jours l’occasion de voir comment McCartney travaille, comment il écrit. Sa voix a vieilli (elle peine sur le pétillant Pretty Boys) mais pas ses qualités de compositeur. Le disque démarre par un quasi instrumental assez génial, Long Tailed Winter Bird, de plus de cinq minutes, qui semble prolonger la compétition que se livraient McCartney et Brian Wilson du temps de leur splendeur. L’instrumentation est splendide, complexe et tortueuse. C’est une entrée en matière assez royale que relaie avec panache le non moins épatant Find My Way. Avec les années, Mc Cartney sonne comme un chanteur indé américain, le mélange d’un Eels (dont il est le père spirituel et le modèle caché) et d’un Beck revenu vingt ans en arrière. La rythmique est funky, délicieuse et irrésistiblement dansante. Le refrain est imparable et l’optimiste exprimé à travers le doublage des voix. III n’est pas un album cohérent mais une suite de propositions, de chansons juste posées là. Il a la beauté de cette simplicité composite, une forme de légèreté qui laisse penser que bien loin de souffrir du confinement, McCartney s’y est amusé et y a trouvé son compte.
Inspirée par la vie de Leadbelly, Women and Wives est chantée comme si McCartney voulait se faire passer pour un conteur blues. La voix est grave et épique dans sa façon de raconter. Et c’est très réussi. Le temps passe, et le chanteur est toujours là. Il poursuit les chansons comme un vieux chasseur qui ne veut pas raccrocher le fusil et la gibecière. Il en repère une, cachée dans un terrier bluesy : c’est facile et cela date un peu. Lavatory Lil ne court pas très loin et fait son âge. Il la descend d’une rafale de Fender 1954 entre les deux oreilles. Après ça, McCartney se précipite dans le frigo. Il prend tout ce qu’il trouve et se prépare un bortsch expérimental avec des restes. Deep Deep Feeling dure huit minutes et s’impose comme une curiosité. McCartney fait penser à Prince, qui se fait un petit spectacle dans son bunker pourpre, avant que les gonzesses arrivent. On cherche, on ne trouve pas, on boeuffe/bluffe avec les amis disparus. Funk. Jazz. Pop. Rock. Il y a des fantômes dans la salle. C’est à la fois intéressant, avec des morceaux de Beatles dedans, mais ça ne mène nulle part. Certaines séquences sont fascinantes (après 2 minutes trente), d’autres moins. Est-ce que cela se passe vraiment ainsi ? III ne nous dira jamais comment cela fonctionne. Où est la source de vie ? Où est la notice ? Avec Slidin, McCartney nous claque la porte au nez. La batterie est vulgaire et on prend cet exercice de retour aux racines du rock en pleine face sans avoir été préparé. On l’oublie trop souvent mais il y a un jour où le rock a ressemblé à ça, avec des types en costume, des bananes chevelues et de l’énergie à revendre. McCartney y était mais il est heureusement sorti de la Cavern avec des idées pleins la tête.
Parmi elles, peut-être, le très bel enchaînement The Kiss of Venus/ Seize the Day qui constitue le sommet du disque. McCartney utilise ce qu’il lui reste de voix pour composer deux jolis morceaux pop, pétillants et brillants de bout en bout. La mise en scène est minimaliste mais la miniature se tient. Le texte est cool.
The kiss of Venus has got me on the go
She’s scored a bullseye in the early morning glow
Early morning glow
Packed with illusions, our world is turned around
This golden circle has a most harmonic sound
Harmonic sound
And in the sunshine when we stand alone
We came together with our secrets blown
Our secrets blown
La mélodie est cool, primesautière. L’interprétation impeccable. When Winter Comes, enregistré en 1992 donc et remanié, referme le bal avec cette même fraîcheur allègre.
Il faut voir ce III comme une basement tape de luxe, un journal de confinement, un pêle-mêle agile. McCartney est comme ces nanas qui passent leurs journées à faire du scrapbooking en regardant le jardin. C’est sans doute un peu vain, ça ne rivalise pas vraiment avec les œuvres d’art du passé, mais cela dégage un charme irrésistible et procure un sentiment de bonheur simple qu’on ne braderait pour rien au monde. Qu’un type de 78 ans puisse inspirer ce genre de choses avec une telle facilité aujourd’hui est un prodige qui fait croire en l’humanité et en la persistance du génie.
02. Find My way
03. Pretty Boys
04. Women and Wives
05. Lavatory Lil
06. Deep Deep Feeling
07. Slidin’
08. The kiss of Venus
09. Seize the Way
10. Deep Down
11. Winter Bird/ When Winter Comes