[Playlist] – Eurodance : Fitness, Fêtes and Foot
[Ep. 1/3]

Photo : Markus Spiske L’Euro 2021 est donc enfin lancé ! Une bonne raison pour se pencher sur un genre de musique qui aura couvert  les nombreuses bandes-sons de matchs, mais qui orna surtout les fiestas qui accompagnèrent les victoires, du championnat d’Europe 1992 à l’Euro 2004 : l’eurodance.

S’il y a bien un UNIQUE défaut à adresser à Sun Burns Out, c’est de ne pas avoir suffisamment couvert le spectre de la musique électronique. Quoi de mieux que de réparer cette erreur avec ce genre, son engeance la plus honteuse ? Ce plaisir coupable que nous interdit le bon goût ? C’est chose faite avec cette série playlist en 3 épisodes qui vous accompagnera pendant tout l’Euro, mesdames et messieurs. En ayant récuré les chiottes du genre de fond en comble, nous vous avons trouvé 30 étrons d’or (et quelques pistes bonus). De quoi gaver en confiseries votre cerveau reptilien.

En ces temps d’euroscepticisme aigu, ce grand courant artistique trans-européen pourrait nous aider à mieux diagnostiquer l’état du vieux continent. À l’occasion d’une future critique littéraire de l’ouvrage d’Aurélien Bellanger (Eurodance, Gallimard, 2018) qui fera trembler les cercles littéraires de Saint-Germain-des-Prés, votre magazine chéri va vous régaler en saloperies! L’eurodance a parsemé pendant deux décennies, de la fin des années 1980 jusqu’à la première moitié des années 2000, tant de vos soirées et voyages. Elle est fortement rattachée, au sein de l’imaginaire collectif, au mondial 98 (ou à l’Euro 2004), pour les raisons que l’on connait, avec des titres tels Macarena ou Samba de Janeiro. Mais plus que le commencement de l’Euro – qui est un prétexte parmi d’autres – nous voulons réparer l’outrage causé par Bellanger à la tribu des eurodance-lovers. Évidemment, ce 1er épisode privilégiera les souvenirs footballistiques, actualité oblige, mais la série peut (et même « doit ») se lire au-delà de toute considération au tournoi. Les épisodes tenteront peu ou prou de s’organiser autour de thématiques très pointues qui nimbent ce genre, tels le sport, la fête, l’amour, le mercantilisme, la disparition des langues et frontières, la construction de l’U.E., les promesses du nouveau millénaire, etc. Tentons d’y remédier avec une chiée de titres qui affineront votre oreille musicale et raviveront chez les plus de 20 ans une marrée de souvenirs joyeux (et souvent – il faut l’avouer – embarrassants).

Enfilez votre maillot, sortez vos vieilles compils’, débranchez votre cerveau! Je vous parle d’une époque où les enfants suçaient des Push Pop et ou les adultes célébraient le foot en meute autour de barbuc’ sentant la bière et la sueur… L’ancien monde, quoi! Prêts pour un p’tit revival régressif ? De Berlin à la mer Noire, en passant par Madrid, New York et l’Italie, montez dans l’eurotunnel du sexe stroboscopique et des lumières tristes. Pas de Cascada ni de Scooter ici. Nous y parlerons philosophie, métapolitique… et grande musique. Eh oui, c’est possible, même avec une musique chantée par des gars en rastas blondes! On est pas chez SBO pour rien…

01. GalaFreed from desire (1997) :  la plus féministe

On commence en douceur avec l’hymne de l’Euro… 2016! Avec 20 ans de retard, Freed from desire a connu une seconde jeunesse via une reprise des paroles par l’ensemble des supporteurs du championnat, en référence au vaillant attaquant  Will Grigg. Mais plongeons en 1997 avec l’original. Les femmes du nouveau millénaire qui se prépare restent des femmes, mais de plus en plus libres. L’ancien « sexe faible » devint « le » sexe fort, inversant la hiérarchie patriarcale. Tous les corps d’hommes se prosternent devant elles, vestales nouvelles. Mais leur biologie se rappelle à elle : des êtres dotés d’une vie intérieure vaste et d’un quotient intellectuel supérieur, a forteriori sujettes à des vertiges existentiels (« inutiles », diront certains aigris). La nature veut cela. Pour Gala, il s’agit de dépasser l’étape du désir pour s’arracher du magma primal, pour enfin être… purifiée, sanctifiée. Gala et Simone de Beauvoir : même combat.

02. Sash!Ecuador (1997) : la plus dépaysante

L’eurodance ne sera pas l’œuvre dont la civilisation occidentale aura à être la plus fière. Mais il faut dire qu’Ecuador est un bijou. Qu’on aime ou non Sash!, les allemands auront pris un visage eurodance différent à chaque titre. C’est une invitation au voyage et à l’exotisme, une musique pleine de souvenirs de plages vertes et de palmiers bleus que vous n’avez peut-être pas vécus, implantées inconsciemment par la force de marée du titre. Tu n’as pas plus une thune ? Tu es pauvre ? C’est pas grave, on t’invite à regarder d’abord les pubs de vacances t’entourant. Ferme les yeux et écoute à présent Ecuador : le soleil et les sylphides en soutifs viennent à toi en onanisme!

03. BelliniSamba de Janeiro (1997) : la plus exotique

Bon, on passe de l’Équateur au Brésil. Et cela, sans bouger de son casque audio ou du dancing. C’est la musique que le fils de votre voisin (âgé de 6 ans, gamin tête-à-claques au possible) n’aura cessé d’entonner  pendant 3 mois après la victoire des Bleus en 98′, sur sa balançoire. Oubliez vos envies de meurtres, succombez au bonheur du collectif. Les sifflements, une rue aux gens multicolores et beaux, un flic un poil coincé du cul mais qui ne résiste à la foule en déhanchant le sien, plutôt qu’à jouer à la matraque. Samba de Janeiro nous propose une utopie à laquelle on aimait encore croire à l’époque. Il ne reste plus que la chorégraphie beauffissime et la voix brésilienne entêtante de la chanteuse allemande. Allez, avouez que dès les premières notes, vous vous carapatiez aux toilettes de la salle des fêtes.

04. ChilliTic, Tic Tac (1996) : la plus à fuir

Reprise du festif (et sublime) morceau brésilien de Carrapicho, cette version eurodance de Chilli est un calque électronique parfait… et par conséquent, horrible. Cette musique, c’est un jus de soleil pressé de 3 minutes, l’équivalent d’un cocktail Orangina – Tropico. À ceci près que l’on y voit des filles magnifiquesdu monde entier, affichant leur puissance féminine en jouant des coudes avec des déhanchements égayants. Attention les yeux, ça pique! Bon, qu’il s’agisse du morceau de Carrapicho ou de celui-ci, on a encore tous eu le même réflexe quand le DJ du mariage de votre meilleur ami portugais la passait : fuir la chorégraphie ridicule !

05. Los Del RioMacarena (Bayside Boys Remix) (1995) : la plus tropicale

Eh bien restez y! Parce que la Macarena arrive. Et c’est un chef-d’œuvre de beauferie jouissive. Aucune marque de dédain dans ses propos. Le morceau est affreusement GÉNIAL, avec ces voix de mexicains moustachus entonnant le « Heyyyyyyyyy Macarenaaaaaaa! » alors qu’ils sont entourés des plus belles filles du monde, ses gimmick électroniques, ses cris et chants de femmes black lascifs en arrière, ce battements de mains trépidants. Allez, détendez-vous, et revenez. Sirotez une piña colada, et jetez-vous dans la danse. Dites-vous que vous éliminerez les grillades.

06. ParadisioBailando (1997) : la plus paradisiaque

Embarquez les filles : Tous dans la voituuuuuure! Direction la Costa del Sol! Pas de pesetas dans les poches ? Pas grave, l’euro arrive à grands pas! Bailando est un grand titre demeuré sous l’égide de la sangria et des boîtes de la périphérie de Málaga ; des mecs en lunettes de soleil qui klaxonnent en décapotable, des donzelles aux teintures violettes qui crient leur bonheur par derrière. C’est l’extase. Ça y est : le point Paradisio est touché.

07. Snap!Rhythm is a Dancer (1992) : la plus mondialiste

Les barrières tombent, les frontières s’ouvrent : le globe devient un nouveau terrain de jeu. Les avions permettent de faire le tour du monde en 24h. Internet nous connectera tous, nous mettant à la même heure. Snap! (à ne pas confondre avec leurs confrères, eux aussi teutons, Sash!) nous encourage à communier à une danse synchronisée, à nous vêtir de lycra moule-seins et moule-boule(s) et à bouger sur des beats robotiques. C’est le soulèvement des machines heureuses. Diminuons notre once d’humanité pour nous diluer en êtres de pixels. Communions de manière synchrone dans un ballet globalisé… avant que tout s’arrête. Définitivement.

https://www.youtube.com/watch?v=KkhGkRahU6g

08. CoronaRhythm of the Night (1993) : la plus euphorisante

Sœur jumelle à Rhythm is a Dancer, le titre de Corona – qui aura tout compris dans le choix de nom qui se garde en tête – est son versant euphorique. Le morceau a même été recyclé par The Black Eyed Peas à l’occasion de la sortie de Bad Boys For Life. Endiablée, la chanteuse brésilienne aux tifs de tigresse enjoint les teufeurs à gigoter et émettre des ondes positives. C’est la musique qui aura hanté tous vos étés et jours de l’an pendant une décennie. L’écouter nous renvoie au senteur du maquillage et des bombes à cheveux, juste avant de partir en bamboche chez les amis. Toute l’Europe danse au son technologique et à la voix absolument chaude de Corona, parfait alliage entre matière vivante et substance morte. Le meilleur des deux mondes, en somme.

09. Eiffel 65Move Your Body (1999) : la plus « body positive »

Outre les titres incompréhensibles et les voix déglingués du vocodeur : avez-vous remarqué le nombre de groupes avec des chiffres ? L’informatique se démocratise. Les modems de Club Internet et Wanadoo ne vont pas tarder à envahir vos maisons. Les lignes de codes et variables bouléennes vont agencer vos vies. La musique d’Eiffel 65 est de ce tonneau : elle laisse présager un futur avec des voitures volantes merveilleuses, une technologie émancipatrice, qui ne vous veut forcément que du bien. On préférera Move Your Body au phénoménal Blue (Da ba dee), pour son message positif : bougez 5 fois par nuit pour être un être performatif dans votre joie et votre bonne humeur. Et avec le sourire, compris ?

10. TechnotronicGet Up (Before the Night is Over) (1989) : la plus fitness

Le titre de Technotronic est un des premiers succès de l’eurodance, fabriqué au tout début du mouvement. Très influencé par l’électro-rap des années 1980 et des émissions fitness de cette époque, c’est un hymne à la gloire du corps et du mouvement. Nous sommes dans la religion du flux. L’enracinement ? So Ancien Régime! Avec la libre circulation des marchandises et des corps, tout doit être mouvement et métissage. Votre anatomie est astreinte au bonheur fructueux, à votre bien-être et à la pensée positive, comme le scande notre rappeuse. Véronique et Davina, c’est finit! Bah alors, qu’est-ce que t’attend pour nous rejoindre…? En marche! Ou plutôt : Get Up… en arrière toute!

Bonus: Il arrive que certaines pistes de l’eurodance tendent vers d’autres genres électro, comme l’acid ou la deep house. Voire qu’elles soient accolées au genre, tellement l’inconscient collectif les range inévitablement dedans. Pour vous récompenser, nous posons en bonus ces quelques titres hybrides.

01′. Inner CityBig Fun (1988) : la plus citadine

Énorme classique séminal, aussi bien bourgeon de la house la plus honorable (le pape Kevin Sanderson est le producteur du groupe) que sa façade plus « grand public » que sera l’eurodance. Pas étonnant qu’Inner City soit américain, ce qui justifie sa place dans cette annexe. Avec l’électro, tout commence un jour ou l’autre à Détroit ou Chicago. On est presque tenté de dire que Big Fun est le grand cousin du belge Get Up (Before the Night is Over). On sent ces sonorités analogiques hésitantes et urbaines, coincées entre une décennie qui s’éteint et une nouvelle qui émerge, entre le mouvement hip-hop et la techno des clubs malfamés où les marginaux zonent, sans savoir que leur mal-être est en train de créer les contours d’une musique nouvelle. On se situe à l’aube de quelque chose d’encore inconnu, mais assurément grand.

02′. Reel 2 RealI Like To Move It (1994) : la plus aphrodisiaque

Un des morceaux les plus étranges de l’eurodance. D’ailleurs, en est-ce vraiment ? Un morceau électronique avec une succession de bruits de prout sur laquelle un priapique jamaïcain, The Mad Stuntman, hurle à son harem des conseils pour être en forme pendant les ébats. Et pourtant, c’est un des rares titres à s’être échappé du carcan eurodance pour atteindre celui du culte. Loin d’être un bon titre, et pourtant entendu moultes fois dans des films grands public et à la radio, le groupe fût composé notamment par l’américain Erick Morillo, génie de la house décédé l’année dernière, connu pour ses malheureuses frasques sexuelles. Une sorte de Weinstein de l’électro avant l’heure. Tout était déjà là.

03′. 2 EivissaOh La La La (1997) : la plus ibizesque

C’est peut-être l’un des meilleurs morceaux de ce top. Et même de l’eurodance. Son refrain mélodique est dans toutes les oreilles, de par le légendaire sample de Crystal Waters qu’il contient. Il a d’ailleurs bénéficié d’une très jolie resucée par le chanteur David Tavare en 2008, plus influencée par les sonorités house provenant de l’Europe de l’Est que la deep. Revenons à Oh La La La: l’écouter nous fait remonter des effluves du sable blanc ; le souvenir des jolies filles dont les cheveux s’égouttent en sortant de la mer, généreuses et souriantes ; celui des torses des jeunes hommes crémés à l’eau salée, des rires émanant des enfants. La joie pure des corps et des étés sans ombres, le futur confiant, celui des restaurants exotiques à la décoration douteuse et de ses boîtes de nuit sentant le tabac froid, tous situés sur l’axe géographique du sexe (de l’Algarve jusqu’à Mykonos). Les nuits prometteuses et sans matin, avec tout ce qu’elles offrent de surprises. Dès lors, à cette pensée, on s’abandonne à la jouissance, comme lorsque l’on fait basculer notre nuque par l’arrière pour mieux s’offrir aux UV. Car tout ce délicieux manège recommencera dès le lendemain.

Après avoir évoqué le thème du voyage, du sport et du bien-être dans l’eurodance, nous explorerons celui de la mondialisation (mal)heureuse, de la fin de l’Histoire promise par Francis Fukuyama et de l’effacement des langues locales au profit d’un espéranto transnational désirable. Ne vous inquiétez pas : il y a de quoi tout autant mourir de rire. Suite au prochain épisode !

Tracklist
01. Gala – Freed from desire (1997)
02. Sash! – Ecuador (1997)
03. Bellini – Samba de Janeiro (1997)
04. Chilli – Tic, Tic Tac (1996)
05. Los Del Rio – Macarena (Bayside Boys Remix) (1995)
06. Paradisio – Bailando (1997)
07. Snap! – Rhythm is a Dancer (1992)
08. Corona – Rhythm of the Night (1993)
09. Eiffel 65 – Move Your Body (1999)
10. Technotronic – Get Up (Before the Night is Over) (1989)

Bonus :
01′. Inner City – Big Fun (1988)
02′. Reel 2 Real – I Like To Move It (1994)
03′. 2 Eivissa – Oh La La La (1997)

 

Photo par Markus Spiske sur Unsplash

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Mots clés de l'article
, , ,
More from Dorian Fernandes
Rone / Les Olympiades
(Original Motion Picture Soundtrack)
[InFiné]
S’il fallait trouver un modèle récent de bande originale réussie, celle de...
Lire la suite
Join the Conversation

2 Comments

  1. says: PGarcia

    Dorian Fernandes est ici, en mélangeant musique et recul sur la société, en train de nous créer la playlist de l’été si on souhaite revenir à ces années où l’optimisme était de rigueur.

    1. says: Dorian Fernandes

      Je vous remercie pour ce message encourageant ! En effet, j’ai essayé de poser un regard à la fois critique et tendre sur cette musique, certes absolument pas fine pour un sou, mais révélatrice et fun à bien des égards.

      Deux épisodes devraient suivre dans le mois qui vient !

Leave a comment
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *