Le revival 80’s qui sévit depuis quelques années dans la musique pop et plus particulièrement celle dite « synthétique » semble être, vu la façon dont il s’ancre dans le temps, plus qu’une mode. Longtemps décriée, souvent d’ailleurs par celles et ceux qui l’ont vécue, la musique de cette décennie retrouve toutes ses lettres de noblesse et c’est tant mieux. Tant mieux déjà pour les personnes dont la plupart de vos serviteurs ici dont la culture musicale s’est construite sur ce terreau, parfois en opposition, parfois en en retenant le meilleur. Tant mieux pour ces groupes injustement sacrifiés sur l’autel de la remise en cause de ce qu’ils ont, parfois involontairement incarné : le bling bling et le fluo, les clips calibrés pour MTV, l’engagement humanitaire, les concerts fleuves, les productions trop propres, trop synthétiques, trop toc ; bref, tout ce qui semble être aujourd’hui devenu une norme sur laquelle plus grand monde ne trouve à redire. Tant mieux enfin pour la jeunesse (artistique) actuelle qui n’a pas choisi son temps et fait aujourd’hui le choix, éclairé et réfléchi, de s’inspirer librement d’une décennie musicale particulièrement riche, variée et finalement bien plus novatrice que tous ses défauts le laisseraient penser. Leigh Craft, australien d’une vingtaine d’année officiant sous le nom de Blood Knows fait partie de ceux-là. Son premier album, Mood Swim qui sort sur le label brestois Too Good To Be True est une illustration parfaite de l’expression « faire du neuf avec du vieux ». Et disons-le de suite, du bon ; du très bon.
S’il faut imaginer les deux responsables du label, plantés devant leur mappemonde, à se demander où la suite de leurs aventures internationales pop va les mener après l’Angleterre (inspirée du Viet Nam), le Québec, les USA, la France, la Russie, les Philippines ou même Singapour, les voir accueillir à présent un artiste australien est tout sauf une surprise si l’on se rappelle à quel point la première incarnation de ce projet, Beko Disque, faisait la part belle aux musiciens du down under. C’est d’ailleurs un peu sous le patronage de Liam Halliwell, figure omniprésente de la jeune scène indépendante australienne qu’est réalisé ce premier disque à l’incroyable fraicheur. Pourtant, c’est peu de dire que question références, tout y passe et Blood Knows balaye à lui seul tout un pan de l’histoire moderne de la musique à dominante synthétique en ne s’interdisant pas grand-chose. Non sans nostalgie, mais avec l’idée que l’on peut sonner moderne (et jeune) sans forcément user des artifices actuels que seraient de gros rythmes vaguement latinos ou l’auto-tune à toutes les sauces, le disque sonnerait presque comme la playliste d’une de ces radios libres qui ont éclos à l’époque, ouvrant au moindre gamin doté d’un transistor FM un monde musical d’une beauté luxuriante qui repoussait au loin les diktats des radios périphériques. De la new wave des néo-romantiques anglais aux hybridations US à l’origine de la house si intelligemment mises en valeur par le label Warp à l’occasion de ses 10 ans avec la compilation essentielle Warp 10+1 : Influences, Leigh Craft trace un impeccable parcours qui lui ressemble avant tout.
Le parcours ordinaire d’un jeune artiste qui commence dans une chambre transformée par la magie informatique en studio californien au son incroyable, sans doute un peu impersonnel, évidemment, mais qu’il est loin le temps des productions bedroom pop lo-fi dont le souffle finissait de nous décoiffer. Qui se poursuit par l’affirmation d’une voix sensationnelle, d’une suavité qui vient vous caresser le pavillon avec tendresse et fermeté. Qui se termine enfin par une écriture d’une grande maturité qui offre au disque quelques véritables grands moments, des hits, des tubes, appelez cela comme vous voulez : des chansons frisant la perfection dans leur construction, leur groove, leur prestance mélodique. En deux titres d’ouverture, la tonalité du disque est donnée. C’est d’abord le lumineux Happy To Be Wrong qui reflète les grands espaces de son Australie baignés à la fois d’un soleil incandescent et de la new wave du Heyday de The Church. C’est ensuite le funk métissé de Body qui convoque ni plus ni moins que le fantôme du fantasme adolescent que fut Anna Lacazio et avec elle tout l’esprit de ces petites douceurs indémodables que l’on fredonne secrètement lorsqu’elles passent dans la sono du supermarché ou que l’on reprend à tue-tête avec quelques grammes dans les poches lors d’impayables soirées « années 80 ». Oui, Blood Knows ne s’interdit rien et surtout pas de sonner comme du très bon Cock Robin. Mais c’est niché comme souvent en milieu de disque, suivant la théorie rarement mise à défaut de la « plage 7 », que l’on retrouve Full Moon, sommet de groove hypnotique qui déroule en pilotage automatique avant de débouler sur un refrain de haute volée, imparable.
La bonne nouvelle, c’est que ces 3 titres ne masquent aucune faiblesse notable dans l’album. Tout au plus faut-il admettre que les interludes que sont A Small Room et sa succession de message téléphoniques en français ou Hi et ses 30 secondes d’ambiant un rien expérimental, n’apportent pas grand-chose dans le déroulement du disque. Pour le reste, c’est un sans faute qui guette. Du groove mélancolique de Just Step porté par l’impeccable saxophone de Liam Halliwell et ses chœurs soul à la ballade Lui’s In The Bathroom que ne pourrait pas renier Anthony Gonzalez de M83, autre grand passeur de toutes ces influences synthétiques ; du funk caribéen pour soirée cocktail en bord de piscine à débordement de Bumble Bee à la pop lumineuse de 503 AM qui lui offre une place de choix au sein de cette nouvelle génération pop australienne aux côtés de Cool Sounds ou Pop Filter, Blood Knows livre une copie particulièrement enthousiasmante qui s’approche bien souvent d’une certaine idée de la perfection.
On l’a compris, Mood Swim n’est pas du genre à révolutionner la musique mais en s’amusant avec les codes, y compris visuels lorsqu’il propose un artwork coloré et naïf faisant largement plus penser à de la pop anorak qu’à ce maëlstrom incroyable de rythmes endiablés, de basses électroniques irrésistibles et de sons synthétiques d’une grande richesse, Leigh Craft s’avère finalement bien plus audacieux et percutant qu’on ne pouvait le penser. Libre à chacun de le déplorer ou de s’en réjouir mais vu et entendu sous cet angle, l’héritage musical de ces années 80 n’a finalement pas fini de nous surprendre, surtout lorsqu’il se montre aussi moderne et plaisant. Mood Swim est un disque plein de vie et de bonnes vibrations, le compagnon idéal du retour des beaux jours, des barbecues nocturnes en terrasse où, une bière à la main, on refait le monde en bonne compagnie en osant à l’occasion un petit pas de danse groovy.
02. Body
03. Just Step (Featuring Business Partner)
04. A Small Room
05. Bumble Bee
06. Waking Up (Slow)
07. Full Moon
08. Hi
09. Lui’s In The Bathroom
10. 503 AM
11. Walking 16