L’autobiographie plan plan de Johnny Marr : quel homme charmant !

5 Note de l'auteur
5

Set The Boy Free -Johnny MarrPubliée par les éditions Century, l’autobiographie de Johnny Marr n’était clairement pas aussi attendue que celle de Morrissey, sortie chez Penguin il y a quelques années. Les raisons en sont multiples et ne sont pas démenties par la lecture de ce livre, presque aussi convenu qu’il est instructif. Premièrement, Marr n’est pas le chanteur de The Smiths mais « juste » le guitariste. Sauf au tribunal (où un Smiths quel qu’il soit vaut 25% du tout), la hiérarchie doit être respectée et, à ce petit jeu là, c’est toujours le chanteur qui gagne. Deuxièmement, Morrissey, en tant que chanteur, parolier et chargé principal des relations publiques du groupe, aimante depuis toujours l’intérêt du public et des fans, ce qui n’est pas le cas de son acolyte. Troisièmement (et on pourrait continuer indéfiniment ou presque), la carrière de Marr s’est, pour de nombreuses personnes, arrêtée en 1986 avec la disparition de son premier groupe, tandis que celle de Morrissey, avec des hauts et des bas, continuait de nourrir le mythe.

Peu importe si ces raisons sont honnêtes ou justes, voire carrément fausse en ce qui concerne la 3ème, la lecture de Set The Boy Free nous conforte dans l’idée selon laquelle Johnny Marr est un poil moins flamboyant et intéressant que Morrissey mais reste, malgré tout, un sacré bonhomme et un foutu musicien. La biographie fonctionne très classiquement selon le mode chronologique et évolue globalement sans aucune surprise sur une bonne partie de ses 450 et quelques pages. Enfance mancunienne, origine irlandaise, parents d’extraction modeste, quelques déménagements dans l’orbite locale, Marr dresse le portrait d’une enfance plutôt heureuse et libérale sans grande difficulté majeure. On réenregistre ici en mode quasi automatique ce qu’on savait par ailleurs : la relation privilégiée avec la soeur, l’indépendance d’esprit et surtout (le fait majeur) que le petit Johnny tombe très très tôt dans le chaudron de la musique. Là encore, ce n’est pas une surprise totale quand on a suivi la carrière de Marr mais l’autobiographie n’en démord pas : le gaillard est un musicien en culotte courte, un guitar hero quasi génétique dont la vie peut finalement se résumer à son amour et à sa dévotion pour l’instrument. C’est ce qui emporte tout, constitue le principal intérêt du livre et aussi sa limite. Pour Marr, il n’y a pas de salut en dehors de la guitare, de l’amour qu’il éprouve pour sa moitié et épouse Angie rencontrée sur les bancs de l’école et accessoirement pour les fringues pour hommes. Du coup, l’autobiographie, si elle s’avère passionnante de bout en bout pour qui s’intéresse aux Smiths et à la carrière musicale, est à peu près aussi sexy et rock n’roll que la biographie autorisée d’un footballeur entré en centre de formation à l’âge de 8 ans et qui aurait changé de club tous les quatre ou cinq ans, pour tous les autres.

Marr est bavard mais évite soigneusement les aspérités. Il évoque rapidement le cas Dale Hibbert (le 5ème Smiths), évacue assez vite la toxicomanie d’Andy Rourke (dont il loue les qualités et se félicite de l’amitié), parle rapidement de sa propre consommation d’herbe et d’alcool (pourtant centrale dans certaines compositions du groupe) et résume l’histoire de The Smiths à un tête à tête quasi idyllique entre Morrissey et lui, sous le haut patronage de son ami éternel Joe Moss, son double paternel, mentor et dont la place affective est tout aussi importante que celle du chanteur dans la vie de Marr. L’évocation de la rencontre Marr-Morrissey (un classique) est magnifique et presque au niveau de tout le reste. On aime quand Morrissey interroge Marr dans la rue pour lui faire choisir le nom du groupe : The Smiths ? The Smith Family ? Ou The Walking Wounded ? Et on se dit qu’on a échappé au pire. Pour le reste, cette biographie ressemble à une autoroute allemande : elle est droite, on y va vite et on prend à peine le temps de regarder le paysage. Marr, comme l’avait fait Morrissey, choisit de laisser une large place à sa carrière post-Smiths et se fait justice lui-même en donnant l’importance qu’elle mérite à ses autres aventures musicales, depuis Electronic, jusqu’à The The ou à l’épisode moins fameux des Cribs. Là encore, on peut trouver que tout ceci est traité un peu superficiellement sauf à considérer qu’il ne s’est rien passé de véritablement intéressant ou qu’aucune anecdote marrante n’est venue agiter ce qui est présentée comme une longue ode à l’émancipation artistique et personnelle. Le reproche qu’on peut faire à Johnny Marr à la lecture du livre est le suivant : il a eu une vie pleine, heureuse et émaillée d’accomplissements artistiques, personnels, professionnels, nombreux, répétés et sans heurts. Ce qui fait une vie heureuse ne fait pas une bio réussie et c’est évidemment un paradoxe. On a tellement pris l’habitude de lire des trucs sordides, et des histoires de hauts et de bas, que cette réussite exemplaire nous ennuie profondément. Mais ce n’est pas du tout la faute de Marr.

Set the boy free n’en reste pas moins un livre émouvant et qui donne une image flatteuse de son auteur. Il fraie avec Keith Richards, joue avec ses idoles et ne se loupe jamais. Il aime la même femme depuis toujours et fonde une famille heureuse. Il joue de la guitare comme un dieu et découvre lors d’un séjour au Maroc qu’une vie saine (sans tabac et avec plein de footings dedans) lui assurera probablement une existence prospère. Que demander de plus ? A trop forcer le trait du héros pop, on en revient (sans honte) à préférer les trahisons de Morrissey, ses non-dits et ses névroses, ses loupés et ses coups de poignard. L’histoire est cruelle et le public encore plus. Le point d’orgue du livre, largement éventé dans la presse, se situe (et cela en dit beaucoup sur l’accueil fait au livre) quand Marr raconte comment il a renoué l’espace d’une soirée et de quelques coups de fil avec le chanteur de son groupe. C’était en 2008 et cela n’aura duré que quelques heures.

Malgré tout ce qu’il aura réussi et tout ce que le rock lui doit, entre 1986 et 2008, le seul moment où Marr nous intéresse vraiment, c’est quand il se trouve dans la même pièce que Morrissey.

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