L’Enfance d’un leader, le film, est en soi un projet étrange et singulier. Adaptation lointaine d’une nouvelle de Jean-Paul Sartre du même nom, le film, avec Bérénice Béjo et Liam Cunningham (qui ont remplacé Tim Roth et Juliette Binoche), peint l’enfance et l’adolescence parisiennes d’un jeune Américain destiné (à l’âge adulte) à devenir un dictateur célèbre. Robert Pattison est également au casting. L’action se déroule en 1919, dans une période qu’on considère généralement comme celle de la « montée du fascisme », et qui est aussi depuis longtemps l’une des préférées du compositeur Scott Walker.
Walker n’avait plus composé de BO depuis celle de PolaX, le film de Leos Carax. En 2007, son dernier travail intégralement instrumental, And Who Shall Go To The Ball ? And What Shall Go To The Ball ?, destiné à une compagnie de danse (pour handicapés), avait été reçu de manière mitigée, car très déstructuré et manquant de variation. La BO qu’il a composée pour l’Enfance d’un Leader (The Childhood of A Leader) est d’une autre nature, sublime, ample et complexe. On y retrouve mêlés beaucoup d’éléments qui animent son univers sonore depuis The Drift, il y a une dizaine d’années, et une vraie envie de composer pour un orchestre (même si la partition semble jouée, question de moyens sans doute, pour une certaine mesure avec un orchestre synthétique). Le résultat est difficile à apprécier sans avoir vu encore le film qui va avec mais s’écoute déjà comme une œuvre têtue, entêtante et sombre.
L’entame, Opening, ressemble à un Bernard Hermann tendu et rendu un brin dissonant par des zébrures de musique concrète. Scott Walker semble, comme il l’était sur Bish Bosch, encore sous l’influence des compositeurs du début du XXème siècle. On entend du Schoenberg et du Stravinsky derrière chaque pas et une inquiétude qui sert probablement à exprimer la paranoïa et la folie croissante de l’enfant. Dire que la bande son de L’Enfance d’un Leader est effrayante est un doux euphémisme quand on traverse presque sans respirer une Dream Sequence de cauchemar sourd et caverneux. Quelques balades très « Europe Centrale » égayent un ensemble claustrophobe et angoissant : Village Walk est délicat et apaisant et Run, un mouvement plutôt solaire emballé en moins d’une minute. Walker est tantôt solennel (Versailles), tantôt presque martial sur le très Zimmerien, Boys, Mirror, Cars Arriving. Les pièces sont souvent (et c’est ce qui gâche un peu la fête ici) trop courtes pour qu’on apprécie jusqu’où elles auraient pu aller, au point qu’on se prend à rêver non pas d’une simple BO (de moins de 30 minutes) mais d’un Scott Walker qui s’appliquerait vraiment à la forme orchestrale. Sur The Meeting, une des rares plages qui émarge au delà des trois minutes, le compositeur américain laisse entrevoir de belles dispositions d’écriture avant de terminer en fanfare sur le plus conventionnel Finale. Très bien donc mais manquant un peu d’espace pour emballer complètement.
A l’arrivée, cette bande son intrigue et constitue un formidable teaser pour l’univers de Scott Walker, un ticket d’entrée instrumental assez passionnant qui utilise les motifs et le langage sonores développés par l’artiste depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant. A un peu plus de 73 ans, l’univers de Scott Walker, qu’il avait recomposé avec Tilt, son chef d’oeuvre des années 90, est en place et permet ainsi de déployer son intelligence et ses ramifications dans différents registres (chansons, drone, musique instrumentale), sans en modifier fondamentalement les éléments. La musique est élégante, douloureuse, instable, inquiète mais toujours hypnotique, stimulante et adroitement attirante. A l’échelle des grands artistes revenus après un longue absence, Scott Walker est une sorte d’anti-Terrence Malick, capable désormais de faire tourner à une vitesse raisonnable un système immuable sans se caricaturer, ni baisser la garde. Chacun de ses mouvements est estimable et engageant, à défaut d’être toujours décisif et surprenant. Celui-ci en fait partie et peut lui gagner la sympathie des auditeurs qui supportent mal, ce qui reste peut-être sa signature la plus révolutionnaire : son chant.
02. Opening
03.Dream Sequence
04. Village Walk
05. RUN
06. Down the stairs
07. Up The Stairs
08. The Letter
09. Versailles
10. Cutting Flowers
11. Boy, mirror, cars arriving
12. Third Tantrum
13. Printing Press
14. On the way to the meeting
15. The Meeting
16. Post Meeting
17. Finale
18. New Dawn (synth layout for a cut scene)