[Soup Music #9] – David Hallyday / Imagine Un Monde
[Play Two]

3.5 Note de l'auteur
3.5

David Hallyday - Imagine Un MondeCeux qui croient que Soup Music n’est qu’une occasion revancharde de se payer des musiciennes bien en chair issues de la diversité se mettent le doigt dans l’œil. David Hallyday est né à Boulogne Billancourt d’un père à demi Belge et d’une mère mi-Bulgare mi-Hongroise, avec du sang arménien : autant dire l’aristocratie franchouille dans ce qu’elle a de meilleur et de mieux défini. David est surtout depuis son plus jeune âge un dieu de la batterie (son instrument de prédilection) au point qu’il pouvait rivaliser (avant l’accident de ce dernier) avec Phil Collins au bras de fer. Le nouvel album de Junior (54 ans désormais), Imagine Un Monde (ça vous rappelle rien cette histoire d’Imagine ?) n’est rien moins que son quatorzième et l’un des plus émotionanmouvants. Sa carrière avait pourtant mal démarré : David cartonne en 1988 (il a 22 ans) avec d’affreuses chansons en anglais rassemblées dans un album inécoutable aujourd’hui (on a essayé) porté par l’atroce single High, qui ferait passer la BO de Top Gun (son beau-père de l’époque s’appelait Tony Scotti, aucun lien) pour du Mozart. David retient de cette expérience qu’il prolonge en écrivant d’abord pour sa mère puis son père que la musique est avant tout un truc qu’on fait cracher à l’arrière-plan pour arracher de grosses larmes dégoulinantes au public quand le héros enfourche son bolide (auto, moto, quad, bmx) pour se perdre à l’horizon. Les meilleures chansons de David occuperont désormais cette unique fonction : accompagner un enfoiré de cowboy solitaire (son père, lui, ou Mickey lorsqu’il compose pour Eurodisney) qui quitte femme et enfant pour faire une virée polluante avec ses potes pochards.

Cela tombe bien cette définition est aussi une bonne définition de ce que doit être le rock FM dans les années 90 : une pointe de sport mécanique, un plan cul qui se désagrège en gros plan (si possible avec un mannequin en nuisette), une coupe de cheveux ondulée et un crescendo vocal à visée romantique. David Hallyday signe en 1991 pour son père Johnny la musique de Mirador, l’une des plus grandes chansons du héros national. Le jeune Hallyday y travaille tout en touché avec une science de l’émotion qui fait plaisir à voir et qu’il va cultiver ensuite (les flûtes de pan synthétiques en moins) sur quasiment 30 ans de carrière. David apprend à domestiquer son goût des rythmiques martelées pour de faux violons et des notes de ponctuation au piano. Il signe alors ses meilleurs morceaux en laissant enfoncée la touche « corde sensible » de son synthé dernier cri. Pendant les années 2000, alors que les ventes de disques s’écroulent un peu partout, David Hallyday continue de vendre correctement, alignant les disques sans aspérités mais caractérisés par des qualités artisanales jamais démenties et une efficacité marketing hors pair.

La comparaison avec son père n’est malgré tout jamais à son avantage aux yeux du public. Là où Johnny est loué pour sa présence, son intensité et sa rock n’roll attitude faite de drogues et de coups foireux, David Hallyday incarne, paradoxalement, le fils pâlot, le bon faiseur, appliqué et propre sur lui, englué dans des visions romantiques d’un autre siècle alors que même les ministres macroniens enfilent les plans à 3. C’est évidemment une bêtise immense de confondre la réalité et l’apparence. David Hallyday a hérité de ses parents d’immenses qualités vocales qui en font l’un des interprètes les plus sérieux et doués de l’Hexagone. Il a eu ses démons, ses mannequins, sans doute ses excès mais son hygiène de vie américaine lui a toujours permis de rester fit and able. C’est sa voix qui tient les nouvelles chansons en place. Il manie la voix de tête à la perfection et montre qu’il pourrait avaler Matt Bellamy de Muse au petit déjeuner. Mais ce qui rapproche David de son père (qui ne composait pas, rappelons le), c’est bien cette idée qu’il n’y a rien de tel pour composer un tube que de manier l’art du crescendo. Là où Johnny partait de très bas et terminait en hurlant comme un vrai rockeur, David travaille avec un peu plus de subtilité en économisant ses effets. Exposé dès son plus jeune âge à la pop américaine, il sait que les appareils radio actuels n’aiment pas les trop fortes variations de volume et que l’auditeur n’apprécie pas de devoir baisser le son de son appareil en plein morceau parce que le gars a décidé de crier son désespoir. David a appris et évolue aujourd’hui au coeur de la bien-pensance morale et idéologique avec une forme de pureté et de sincérité qui sont assez stupéfiantes après plus de trente ans de carrière.

La chanson titre de ce nouvel album est à cet égard réellement bluffante. Hallyday mélange Kipling, Hugo, François Fillon et John Lennon dans une enveloppe (augmentée sur le final de choeurs féminins somptueux façon Mystère des Voix Bulgares que même Massimo Gargia estimerait un peu faciles en matière de production) qui mêle transmission filiale, héritage (une sale affaire conclue à l’amiable) et écologie. Sur Hallucinogène, Hallyday chante comme Garou (sa voix craque avec l’âge) qui reprendrait un titre de M Pokora. C’est peut-être ça le futur de la FM, mêler une rythmique vaguement RnB désamorcée ou fécondée par les codes variétoches. Cette chanson est excellente et le texte n’est pas en reste, évoquant de manière à peine voilée la consommation de stupéfiants. Voilà le véritable hommage à son père et la chanson monument du disque.

Hallucinogène
Le chemin aérien, les nuits sibériennes
Hallucinogène
Nos velours, nos venins, divagations soudaines
Hallucinogène
Est-ce que tu te souviens
De quoi tu te rappelles
Moi j’en garde un parfum
Au creux du logiciel
Hallucinogène

Ensemble et maintenant participe de cette même rénovation du format variété. Il n’y a pas de salut en dehors de la modernité. Quitte à ce que David passe parfois pour un opportuniste maladroit comme sur l’atroce Ciel et Terre. « Ensemble, on va remuer ciel et terre. Ensemble on va le faire. Arrêtez de garder la pose dans des costumes qui en imposent. Arrêtez de faire la morale. Les biens pensants aux mains sales » Les phrases sont plus courtes, la mélodie vocale disparaît au profit d’une scansion binaire qui rappelle le phrasé de la jeune génération, faisant reposer la musicalité du texte sur des rimes pauvres mais qui claquent sous l’oreille. David Hallyday s’évertue à ne pas chanter pour déclamer son texte comme une prière à la nouvelle génération. Imagine Un Monde est un album de transmission où David qui a donc perdu son père prend symboliquement sa place pour, à son tour, remettre les clés du camion à la génération suivante.

Là où Johnny s’est raté dans les grandes largeurs, lui prend des précautions et souscrit à une assurance tout risque qui couvre tous les excès. Là où Johnny travaillait sur l’intimité (le couple, l’amour, sa propre nature) en utilisant un imaginaire essentiellement hérité d’Amérique (prison, moto, cuir, rock), David Hallyday s’adresse ici au monde entier et développe une ambition planétaire et universaliste. Imagine Un Monde est un album aux ambitions démesurées qui ressemble aux compositions de Francis Lalanne pour le film Le Passage de René Manzor. Le synthétiseur y occupe une place centrale, proposant à l’univers entier, aux familles, à nous, pauvres mortels, une refondation sur des valeurs disparues qu’on imagine héritées de Mormon ou de la chevalerie.

A l’usage, la portée messianique des chansons finit par fatiguer. Qu’est-ce qu’on fait de nous? est bien fichu mais sonne comme une redite des trois chansons qui précèdent. On finit par culpabiliser et par ne plus trouver cela très marrant. David fout la frousse et, en voulant nous ouvrir les yeux, va finir par gâcher notre troisième confinement. Est-ce que tout ceci est VRAIMENT de notre faute ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal ? Il prend bien la peine de montrer du doigt les politiques et les hommes d’affaires mais à force d’en appeler à une réaction individuelle et collective, on finit par penser qu’on n’en fait pas assez et qu’on a quelque chose à cacher. On a bien mis le masque. On a pas cassé les vitrines des commerçants. On n’a même pas trompé notre femme depuis un bail. Pas violé de migrants, ni mis les plastiques avec le verre. Et pas blasphémé tant que ça. Sans doute conscient d’être allé trop loin, Hallyday entreprend une réhabilitation new born christian sur le très beau mais salement produit Personne n’est fait pour être seul. Le chanteur démiurge nous offre une compagne qui nous permet de nous jeter à corps perdus dans le Huitième Pêché. On respire enfin : il a fallu attendre la 7ème chanson pour qu’on parle enfin d’amour et qu’on renoue avec l’esprit d’Herbert Léonard.

Le titre est bien charpenté, avec un délicieux clavier synthétique qui nous ramène à de vagues souvenirs érotiques des années 80. David Hallyday a de faux airs de David Hasselhoff. Le morceau est trop long et on peine à aller jusqu’au bout. C’est dommage car l’aspect prog rock psychédélique était savoureux et bien vu. Imagine Un Monde retombe assez vite dans ses travers et son prêchi-prêcha. Hallyday est une purge moraliste qui ressemble à un foutu Jéhovah positiviste. A écouter Vis tes rêves, on a envie de prendre de la coke par l’anus et trois pipes de crack, de lâcher son CDI et de s’inscrire à une lockdown partouze le soir du 31. C’est comme quand vous demandez à vos gamins de lire un bouquin plutôt que de jouer à la console : ils font exactement le contraire. Le problème d’Imagine Un Monde c’est qu’il est constitué de 11 titres tout à fait respectables mais qui disent tous EXACTEMENT la même chose et finit par ressembler à un long tunnel FM. Pourquoi l’amour est si fragile en est un bon exemple : c’est un titre qui tient la route. La mélodie est chouette, l’interprétation plutôt agréable mais on ne le supporte plus. David Hallyday (sans doute la mort du père) s’est clairement laissé enfermer dans un rôle de fils/père idéal qui lui enlève toute crédibilité.

Johnny n’a jamais quitté sa posture de bad boy. C’est peut-être le secret de sa longévité. David Halliday en prend le contre-pied et se pose en hyper Monsieur Propre, une sorte de chanteur premier de la classe, tête à claques, dont on a vite envie de claquer le beignet avec une batte de baseball. Son appel hollandais à la normalité sur Superstar (« we dont want to be a superstar« ) est une déclaration anti-rock n’roll au possible qui équivaut à se tirer une balle dans le pied et à renoncer à tout privilège. On sait que les révolutions viennent toujours des infiltrés, des déchus de la bourgeoisie. C’est exactement ce qui se passe ici : cet enfoiré a entrepris de saper les fondements du monde people dans lequel on vit. Si on ne savait pas qu’il n’en pense pas un mot, on mettrait sa tête à prix. David Hallyday est un traître de classe, un rabat-joie mais aussi un bon artisan. On ne peut pas lui enlever ça. Imagine un Monde referme le couvercle générationnel avec une application morbide et méthodique. Salut les Copains. Même Yannick Noah n’aurait pas osé.

Tracklist
01. Imagine un Monde
02. Hallucinogène
03. Ensemble et maintenant
04. Ciel et Terre
05. Qu’est-ce qu’on fait de nous ?
06. Personne n’est fait pour être tout seul
07. Le huitième pêché
08. Vis tes rêves
09. Pourquoi l’amour est si fragile
10. Superstar
11. Les jours d’après
Écouter David Hallyday / Imagine Un Monde

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