A l’occasion (du mois) de la Saint Valentin et du 21ème anniversaire de sa sortie en février 2003, le très fleur-bleue groupe canadien Stars ressort sur le label Last Gang records le deuxième de ses neuf albums, Heart, dans une livrée vinyle rose choupinette comme tout. Drôle de vie que celles de ces albums de la trempe de Heart, quasiment inconnu par chez nous alors qu’il bénéficie d’une véritable carrière depuis sa sortie, jugez plutôt : une édition simultanée sur 3 labels différents rien qu’au Canada, une version européenne sur le désormais discret label londonien Setenta et une autre au Japon la même année, de premières rééditions dès 2005 puis pour la première fois en vinyl en 2018. Si la part des collectionneurs compulsifs est bien entendu impossible à connaitre, la certitude est celle d’un élargissement progressif d’une fanbase qui succombe, au fil des sorties suivantes, aux charmes d’un groupe qui a toujours su allier une immédiateté pop incontestable avec une certaine exigence en termes d’écriture et d’arrangements probablement liée à l’appartenance de la chanteuse et guitariste Amy Millan et son conjoint et bassiste Evan Crawley au collectif éclectique Broken Social Scene au sein duquel se brassent de multiples influences dont chacun retire sa propre substantifique moelle.
Stars, c’est aussi l’expression de l’hypersensibilité du chanteur d’origine anglaise Torquil Campbell, personnage atypique et maniéré, un peu perché, ce fils de bonne famille que l’on aurait aussi bien vu banquier ou professeur d’université mais qui, un jour, plaque tout pour devenir ce qu’il sent qu’il est vraiment au plus profond de lui, un chanteur pop dans un groupe de rock. Avec Amy Millan, ils forment l’un de ces duos de front les plus attachants que l’on connaisse, sans doute aussi parce qu’au fil de leur discographie, ils ont su tisser un véritable lien générationnel avec une partie de leurs fans, traduisant leurs joies et leurs craintes, leurs forces et leurs faiblesses, les tourments de la vie qui passe, les petits et grands bonheurs du quotidien, évoquant la nostalgie ou la mort tout en s’ancrant dans un présent vivant et vivace, non dénué de légèreté, de fête et d’envie de danser.
Dès Nightsongs, leur premier album sorti en 2001 sur Le Grand Magistery, le label américain de Momus, Louis Philippe ou Moose (excusez du peu), réédité lui aussi l’an passé, Stars montrait, avec tout le charme un peu désuet à présent d’une production quelque peu datée au niveau de la rythmique notamment, toutes les qualités d’une écriture qui pouvait alors les rapprocher d’un St Etienne en goguette canadienne et la personnalité d’un groupe culotté qui s’attaquait sans vergogne au monument This Charming Man dans une version complétement groovy et décomplexée. Heart, l’album suivant, va déjà marquer un tournant dans la vie et le son de Stars avec le recrutement d’un vrai batteur, Pat McGee, l’omniprésent mais discret Chris Seligman, fondateur du groupe, délaissant quelque peu la programmation de gros beats dansants même si le groupe reste au fil de sa carrière adepte des remixes et consacrera même un album entier aux relectures de son troisième album, Set Yourself On Fire sorti l’année suivante, en 2004.
Si cela n’avait sans doute rien d’évident à l’époque, se pencher aujourd’hui sur ce second disque permet de comprendre à quel point il est le véritable point de départ d’une aventure qui dure. Avec Heart, Stars se présente donc pour la première fois sous les traits d’un véritable groupe qui ne va plus vraiment varier depuis et non plus sous ceux du collectif un peu protéiforme de Nightsongs. L’aventure devient collective ; écriture et composition sont dorénavant signées « Stars » et le groupe se soude dans la définition d’un style qui reste encore aujourd’hui sa marque de fabrique, à quelques variations près, albums après albums. Heart est donc cette pièce maitresse, la véritable première pierre d’une discographie bien évidemment faites de hauts et de moins hauts mais qui ne verra jamais le groupe s’effondrer ni même passer un tant soit peu à côté de son sujet. Les onze titres de Heart sont autant de moments de vie, à la fois porteurs d’une véritable cohérence mais aussi des soubresauts d’une existence où l’on rit autant qu’on pleure, où l’infinie palette d’émotion a pignon sur rue sans honte ni faux-semblants. Stars ne joue pas ; en tout cas pas avec ses sentiments, ni avec les nôtres.
Dès la très belle pochette, l’originale, utilisée pour cette réédition, on est mis dans l’ambiance d’un disque tout entier tourné, comme la majorité de la discographie du groupe d’ailleurs, vers la relation à l’autre. Pas dit qu’on ait de nouveau l’occasion de s’enlacer tendrement dans un train comme ce couple juvénile et insouciant du regard des autres qui exprime son amour de la plus jolie des façons. Dès lors, chaque titre du disque renvoie à cet omniprésent sentiment amoureux, à tous ces cœurs qui battent les uns pour les autres. Une universalité que traduit aussi cette pop sans doute pas complétement mainstream mais en tout cas largement accessible pour qui ne se laisse pas dicter facilement ses goûts mais préfère suivre son instinct guidé par un tant soit peu de curiosité. Stars sait recevoir. A commencer par deux tubes assez évidents, Death To Death et Elevator Love Letter dont le clip absolument calibré pour les MTV du monde entier montre bien la destinée potentielle d’un groupe qui ne se refuse aucune limite. Une ambition partagée par le producteur anglais Ian Catt (St Etienne, la plupart des albums de Bobby Wratten sous ses divers avatars) qui insuffle ce supplément d’âme londonienne à trois des morceaux de l’album dont le chaloupé et encordé Heart et le somptueux et cristallin Life Effect.
Si les plus complexes Time Can Never Kill The True Heart ou Look Up, avec leurs structures plus alambiquées et leurs guitares un peu trop noisy pour toucher au-delà des oreilles averties sont aussi ce genre de chansons qui s’interprètent et s’écoutent yeux dans les yeux, mains dans les mains, climax d’une Romantic Comedy indé aux cœurs d’un lycée nord-américain, c’est aussi quand le groupe baisse d’un ton et tamise ses lumières qu’il se découvre le plus, à cœur ouvert. Qu’il s’agisse de l’entrée en matière What The Snowman Learned About Love qui ferait fondre n’importe quel cœur de pierre ou de la conclusion Don’t Be Afraid To Sing et son joli crescendo qui s’achève dans une tendre explosion chorale de voix et de cordes, tout démontre ici la capacité du groupe à emporter ses auditeurs dans un tourbillon de sentiments dont seule la vie a le secret.
Stars fleur bleue donc ? Tout dans Heart ramène en effet à cela et pose les bases d’une discographie qui culminera jusqu’à ce jour, le groupe est toujours actif et laissons-lui la possibilité de nous surprendre encore, sur son triptyque à lui, la succession enchantée de In Our Bedroom After The War (2007), The Five Ghosts (2010) et The North (2012). Mais pour autant, chanter l’amour, ses joies et ses déboires n’a pas à être synonyme de mièvrerie et si Stars ne nous l’apprend pas, c’est après tout de toute l’histoire de la pop musique qu’il est ici question, il s’affirme comme l’un des meilleurs représentants de ces groupes capables de véritablement traduire sur chaque album en une poignée de titres l’infinie diversité de nos humeurs, la versatilité de nos sentiments, le sel et le piment qui relèvent la fadeur de nos petites existences.