Stephen Jones / 4-6 november 2020
[Autoproduit]

8.4 Note de l'auteur
8.4

Stephen Jones - November 4-6 2020Difficile ou carrément impossible de rendre compte de toutes les sorties et ambitions de Stephen Jones Babybird au fil des mois. Dans la grande recomposition du paysage indépendant provoquée par la Covid 19, l’oisillon anglais a depuis de longues années un temps d’avance, ayant réussi (par la force des choses) à s’inventer une communauté en dehors du territoire ordinaire des labels et autres maisons de disques. Ce choix imposé et subi aura permis à l’homme de survivre et de cultiver sa singularité en même temps qu’il le préparait sûrement pour les temps à venir. La crise venue, alors qu’il renouait à peine avec une maison de disques (unipersonnelle) pour sa compilation, Happy Stupid Nothing, Jones est repassé immédiatement dans la clandestinité fustigeant les comportements à risque de ses contemporains démasqués, depuis qu’il a rejoint lui-même la cohorte des citoyens vulnérables.

A peine ralenti par les délais de livraison des goodies qu’il ajoute à ses productions mensuelles (des cartes, de petits objets plastiques fabriqués, on l’imagine, en Asie), Stephen Jones a proposé ces derniers jours un album composé en 3 jours qui figure parmi les plus intéressants et réussis de sa discographie sans limite. Pensé pour être d’abord écrit et réalisé en une seule journée, le délai a été réapprécié suite à une… extinction de voix et à des problèmes de connexion au réseau. Trois jours donc, c’est ce qui restera pour ce 4-6 november 2020 album de 11 titres, annoncé par un single proposé à prix libre et qui donne le ton. Gun In A Clown’s Mouth est l’une des belles chansons donwtempo d’un disque lancé par un brillant collage d’actualité, Donald Trump’s Spiritual Advisor, que n’invalide en aucune façon le résultat des dernières élections américaines. Mi-lofi, mi-pop tête en l’air, le disque aligne les morceaux de bravoure enregistrés, comme toujours, avec les moyens du bord : boîtes à rythme, instruments de synthèse et voix braillarde ou de velours. L’existentialiste Nihilistic est remarquable, sombre et désespéré, tandis que Stupid Man rejoint la lignée des grandes chansons d’amour ambigües du bonhomme. Il faut une part de stupidité et de naïveté résiduelle pour s’engager sciemment dans la tromperie parsemée d’embûches qu’est la relation amoureuse. Babybird ne dit pas autre chose depuis des années. Mais il y retourne à chaque fois, la fleur au fusil. Entre l’exaltation aventureuse et désenchantée de White World FunFair, une belle chanson géopolitique, la cruauté désolée d‘Empty, Stephen Jones enrichit sa posture d’homme perdu et ballotté par les flots de l’époque. Il se dégage de ces onze titres l’idée selon laquelle nous sommes battus aux quatre vents, paumés et malmenés, mais aussi en perpétuelle tentative de nous re-saisir et d’espérer. C’est ce grand écart permanent qui fait la qualité de ces pièces et probablement du bonhomme, une portée rédemptrice que d’aucuns soupçonneraient chrétienne, à peine dissimulée dans le texte sans peur d’un Babybird chanté en toute sincérité.

« Forgive Me / I know we’ve been here before/ With all these sentiments and words/ Yeah You and Me/ I am still Babybird/ Oh You and Me/ Babybird…. » prolongation affligée et le cœur sur la main d’un titre poussé pour la première fois il y a près de trente ans maintenant et dont les ressorts ne sont pas encore épuisés.

A poil sur le torturé I Had Dreams, brouillon sur Failure balancé par dessus la jambe ou sublimé sur le brillant Exorcise Me, cet album éphémère donne à voir un créateur aux prises avec son propre talent, virevoltant et à la recherche de voies ouvertes, mais aussi désespéré, sur chaque note, de prêcher dans le désert. La production du Babybird donne crédit à la vieille légende véhiculée jadis par Salman Rushdie voulant que les histoires et chansons baignent dans une sorte d’océan mystérieux en attendant qu’on les pêche et les dresse pour le grand banquet des hommes. Stephen Jones n’a jamais arrêté de nager, depuis sa gloire jusqu’aux temps obscurs, il n’a jamais cessé de pêcher. Il chante comme il émergerait d’un grand bouillon, braillant ou pleurant, gaillard ou à demi-noyé pour aligner les pièces testament.

Cet album est autant un album immanquable qu’un disque parmi d’autres. Il s’inscrit dans une routine aussi merveilleuse que répétée et immuable, un travail proche de l’artisanat et que l’Anglais reproduit avec minutie et une application de forçat, disque après disque.

Tracklist
01. Donald Trump’s Spiritual Advisor
02. Gun In A Clown’s Mouth
03. Nihilistic
04. Stupid Man
05. White World Funfair
06. Empty
07. Babybird
08. Power
09. I Had Dreams
10. Failure
11. Exorcise Me
Liens

Lire aussi :
Stephen Jones / A Heartbreaking Album About Illness

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