The Album Leaf / Future Falling
[Eastern Glow Recordings / Nettwerk]

8.8 Note de l'Auteur
8.8

The Album Leaf - Future FallingIl y a quelques jours à peine, alors que nous écrivions sur le très réussi dernier album de The Declining Winter, nous évoquions à travers la figure de Richard Adams ces artistes insatiables, écrivant et composant comme ils respirent, comme un besoin vital, irrépressible. Des artistes pour lesquels seul un CDI d’auditeur à temps plein permet de suivre une trace discographique pléthorique et complexe que seule la digitalisation et l’autoproduction (via l’omniprésent Bandcamp, pour parler concrètement) sauve, en théorie du moins, d’une destinée ultra confidentielle. Jimmy LaValle est de la même espèce. Incarnation originelle et le plus souvent unique de l’entité The Album Leaf, seul aux commandes, y compris dorénavant de son propre label, Eastern Glow Recording, il multiplie les sorties à n’en plus finir et occupe un terrain le plus souvent cinématographique au rythme parfois effréné de plusieurs sorties annuelles. Future Falling est son dix-neuvième album mais en réalité, pour peu qu’il soit si important que ça de les distinguer, son septième véritable « album studio ».

Quelle différence ? Ce dernier épisode en date au sein d’une discographie qui le voit multiplier collaborations, bandes originales, singles numériques aussi isolés qu’essentiels, réenregistrements et rééditions luxueuses, est voué à poser un jalon important dans le parcours du californien ; c’est en tout cas en général ce que l’on attend d’un album. Conçu comme tant d’autres, on s’en aperçoit bien maintenant, pendant la grande réclusion mondiale, Future Falling est un assemblage composé parmi des dizaines, des centaines peut-être de morceaux écrits quotidiennement par Jimmy LaValle, confiné en famille dans son home studio. Un travail de sélection puis de ré-enregistrement qui donne à l’ensemble une élégante cohérence musicale où l’on retrouve d’un morceau à l’autre des motifs réemployés en de subtiles variations qui créent un véritable fil conducteur, avec, comme toujours chez The Album Leaf, un exceptionnel travail sur les beats et ces claviers analogiques qui sont sa véritable signature.

Par contre, Jimmy LaValle fait cette fois un choix fort, celui de se taire. Un choix regrettable tant sa voix, agréablement chaude et rassurante participait elle aussi jusque là de cette identité forte qui faisait de The Album Leaf une entité unique. A la place, il prend le parti de collaborer, comme sur les deux singles annonciateurs du disque, avec des chanteuses confirmées, ici la néo-zélandaise Kimbra (Afterglow) et la plus renommée Natasha Khan, plus connue sous le nom Bat For Lashes (Near). Un choix pour le coup plus que pertinent tant les deux artistes apportent aux deux morceaux sur lesquelles elles collaborent une sensibilité tout à fait exceptionnelle qui se marie à merveille avec les ambiances de l’album. Mais pourquoi alors seulement sur deux morceaux, superbes de surcroit, magnifiés par cette présence féminine ? Future Falling, album dès lors essentiellement instrumental semble s’engoncer dans le moule désormais un peu conformiste d’une musique mutique telle que The Album Leaf la produit à la pelle, destinée aux synchronisations sur grands ou petits écrans, réelles ou théorique (OST en 2020).

C’est sans compter sur le talent d’inlassable chercheur et expérimentateur de Jimmy LaValle car, oui, si ses productions pour le cinéma, malgré d’évidentes qualités, perdent toutes un peu de leur charme, intérêt ou originalités à force de répétition et d’usage de ce qu’il est convenu d’appeler des fonds de tiroir, force est de constater qu’il a su garder pour ce véritable album, cette sélection, sa matière la plus riche, complexe et envoutante qu’il soit. De la première à la dernière seconde, comme une évidence introduit par un Prologue et conclu par un Epilogue, Future Falling coule tout simplement de source. Tout en respectant fondamentalement son ADN musical, The Album Leaf fait évoluer album après album son univers et si Between Waves en 2016 peinait un peu à succéder à un Chorus Of Storytellers de haute volée paru six ans plus tôt, Future Falling s’inscrit bel et bien dès sa sortie dans le haut du panier de l’oeuvre du californien. S’entourant de jeunes musiciens du cru, ici pour poser quelques cuivres magnifiques, là pour donner un peu d’humanité à un travail sur la rythmique déjà remarquable, Jimmy LaValle crée un cocon atmosphérique à haute densité. Lui ne craint pas d’empiler, ne surchargeant jamais, mais assemblant avec patience diverses couches synthétiques, basses électroniques, divers motifs d’orgue ou de claviers modulaires, de trompette, de violon, de piano ou même de discrètes guitares rappelant ses débuts post-rock avec les excellents Tristeza, le tout avec un raffinement jamais pris à défaut. Future Falling pourra s’écouter en solitaire dans le noir, en voiture en voyage au long cours, sur la dune avec le soleil terminant sa course dans l’immensité de l’océan ou dans le train le regard mélancoliquement fixé sur l’horizon qui défile, toujours il trouvera la capacité d’être pile le disque qu’il fallait mettre à ce moment-là.

Alors Future Falling peut bien manquer de voix ou s’inscrire dans une discographie trop abondante pour être suivie à la trace, surtout quand elle prend des allures d’annexes pas toujours passionnantes, peut bien s’avérer hors de prix voire introuvable pour les fans sensibles au support physique, il parvient malgré tout à maintenir The Album Leaf dans la catégorie de ces immenses groupes secondaires dont il est le nouveau joyau éclatant, sublimé par un écrin particulièrement réussi, une autre constante dans l’œuvre de Jimmy LaValle. Lui qui continuera très certainement à distiller ici ou là ses musiques climatiques sur des films inédits de ce côté-ci de l’Atlantique ou des séries de seconde zone en VOD, mène avec brio et lucidité une carrière où l’abondance côtoie l’excellence, celle d’albums et de singles régulièrement touchés par la grâce ; la liste est longue. Triste mais jamais sombre, Future Falling est assurément un disque de paix intérieure à une époque où on a tous bien besoin de réconfort intime.

Tracklist
01. Prologue
02. Dust Collects
03. Afterglow
04. Future
05. Breathe
06. Cycles
07. Give In
08. Stride
09. Near
10. Epilogue
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