Celles et ceux qui se sont emballés pour le piteux New Blue Sun d’Andre 3000 pourraient être bien inspirés d’aller jeter un oeil sur cette première réalisation de Cowboy Sadness afin de comprendre la différence entre un bon disque d’ambient et un mauvais. La différence ne tient pas spécialement dans l’instrumentation, le genre, la recherche de dynamique ou encore la longueur des morceaux, mais plus sûrement dans l’intention, entendue comme mère de l’émotion et de l’intensité ici.
Les Cowboy Sadness, un super nom par ailleurs, sont un nouveau groupe à trois têtes organisé autour de Peter Silberman de The Antlers, David Moore (Bing & Ruth) et Nicholas Principe (Port St Willow), trois musiciens, instrumentistes et amis compositeurs qui se sont retrouvés autour d’un projet ambient, noué à New York et enregistré au fil des sessions entre 2017 et 2021. Les trois hommes, qui ne sont pas nés dans l’ambient (avec un bémol pour Silberman dont l’Impermanence, la voix en moins, taquine le sujet depuis plusieurs années), amènent chacun leur savoir faire pour dessiner un Selected Jambient Works vol.1 aussi peu improvisé et relâché qu’il en a l’air. Silberman joue de la guitare et programme les synthés. Nicholas Principe assure les percussions. Et le troisième larron gère les « claviers » en général. Le tout se présente comme un ensemble remarquable en 10 pièces et une heure de musique, qui évolue entre jazz invisible, ambient et post-rock à un niveau de grâce stratosphérique.
Les morceaux prennent leur temps, émargeant entre 4 et 8 minutes, et contrairement à d’autres créations récentes (Andre 3000, si tu nous lis….) n’ont jamais un titre plus mémorable et soigné que ce qu’elles ont à dire. Les titres renvoient néanmoins à un univers fantasmagorique de cowboys solitaires évoluant (en apesanteur plutôt qu’à cheval) dans un paysage semi-désertique plus intérieur que sujet à la rencontre d’indiens. On pense parfois (sottement) à la dérive d’un John Ford crépusculaire, perdu dans un espace d’après la bataille, ou aux rêveries les plus calmes d’un Blueberry en fin de vie ayant abusé des champignons. Full Mammoth est lent à la détente, progressif et comme porté par l’indécision. La batterie place des kicks ralentis qui ont pour effet de rendre le tout abstrait et très éthéré. Cela n’empêche pas First Rodeo de nous placer face ou dans un enclos ligne claire où l’on voit et où l’on entend, non pas le bruit des chevaux, mais un souvenir d’animaux qu’on domestique en famille. Cowboy Sadness caresse un univers américain disparu, traque ses symbôles, ses signes et glisse ses harmonies synthétiques le long des traces/crevasses laissées dans le sol et les mémoires par les activités perdues.
On ne mentira à personne ici en disant que l’ambiance western est loin, loin, loin. Cowboy Sadness ne semble pas plus à la recherche d’une culture populaire disparue qu’engagé dans une tentative de réinterpréter quoi que ce soit comme l’avait fait Coupland en son temps. La tradition est un lointain souvenir et la lecture une lecture purement urbaine, théorique et sophistiquée. Il n’en reste pas moins qu’on peut accepter la dérive et passer de la plaine à l’espace intérieur, philosophique ouvert par les trois hommes en se demandant ce qu’il reste de tout ça et ce qui fait qu’on s’en souvienne finalement avec une telle acuité. Ten Paces est un morceau étrangement séduisant et relevé ici, comme s’il s’agissait de renouer avec une forme de solidarité primitive et presque festive. Assiste-t-on à la mémoire/la répétition d’une danse ? d’une célébration ? Il y a une chaleur, une forme de convivialité qui émerge du silence et qui se prolonge, voire se déverse, dans l’explosion d’un Starcharger monotonal et qui invite à l’élévation. Le souvenir contemple le cowboy qui contemple le ciel, les étoiles, allongé dans les herbes brûlées. Les flingues sont rangés depuis deux siècles au point qu’ils n’existent même plus. Reste la guitare qui hoquète, le martèlement des pas, le déplacement des hommes qui signe le souvenir historique et marque la piste à travers le territoire, soit l’une des plus belles plages du lot, bien nommée The Cowboy Way, ce qui n’est pas un hasard.
Ce premier disque est un songe. Il en a la forme, le parfum, la nature évanescente. Il inspire et permet aux contemporains, à l’image de sa pochette, de contempler ce qui a disparu pour se souvenir de ce qui a existé jadis. Contrairement aux techniques employées par Silberman sur ses travaux solo, la musique de Cowboy Sadness n’a rien de métaphysique ou de religieux. Elle est concrète, spatiale et géographique, mais explore, de la même manière, la profondeur de champ déposée par le sable et le temps, au creux de notre esprit. L’ambient est délicate, voyageuse et elle se déploie dans au moins deux dimensions. C’est tout ce qu’on lui demande.
02. Billings, MT
03. Full Mammoth
04. First Rodeo
05. Second Rodeo
06. Agave
07. Range
08. Ten paces
09. Starcharger
10. The Cowboy Way