On a passé pas mal de temps entre 2000 et 2020 à défendre la postérité des Boo Radleys, groupe souvent mésestimé de la britpop, dont les albums C’mon Kids (1996) et Kingsize (1998) constituent parmi les travaux les plus consistants, intelligents et pétillants de la période. Groupe puissant, inventif, sonique et beatlesien, les Boo Radleys ont proposé des œuvres souvent touffues, à clé, qui s’écoutent encore aujourd’hui avec plaisir. Leur reformation, même sans leur leader et compositeur en chef Martin Carr, nous avait plutôt séduit par sa vivacité et par la bonne maîtrise de la grammaire pop rock psychédélique à laquelle elle renvoyait. Keeping On With Falling n’était pas un chef-d’œuvre mais n’en restait pas moins un bel exercice de style après deux décennies de mise en sommeil, un disque vif et qui portait sur lui la joie des retrouvailles.
Après un live (dont on n’a pas rendu compte et qui, à l’écoute, n’apporte rien à personne) et avant la tournée anniversaire (30 ans) de Giant Steps qui les enverra en tournée anglaise ces prochains jours, les Boos sont repassés par la case studio pour accoucher d’un huitième album, opportunément baptisé Eight. Malheureusement pour nous et notre fidélité maladive à nos groupes de jeunesse, le miracle du premier album des retrouvailles ne fonctionne pas tout à fait sur ce disque avec la même efficacité. Si l’on retrouve ici et tout au long de ces 13 chansons la fameuse grammaire pop, psychédélique, faite de fanfares cuivrées, de rythmiques afro-merseybeat et de mélodies imparables à la guitare qui fait le charme du groupe, la plupart des morceaux restent cloués au sol et peinent à convaincre un auditeur pourtant acquis à la cause. Eight est un disque où l’on reconnaît bien les Boo Radleys mais qui évolue comme en roue libre en procurant un sentiment de déjà entendu, de manque de direction générale et de vitesse qui déçoit et, pire, nous confronte à un ennui qu’aucun des albums, pourtant longs et généreux du groupe, n’avait jusqu’ici suscité en nous.
Ce sentiment de lassitude est d’autant plus surprenant que l’application du groupe pour composer avec ce qu’il sait faire est ici évidente. Difficile de considérer Seeker comme un mauvais morceau. La voix de Sice est impeccable et la facilité pop avec laquelle le groupe évolue est intacte. Mais le morceau ne parvient pas à accélérer et à exploser aux oreilles comme le faisaient les meilleures pièces du groupe. On s’ennuie, on se traîne et on se raccroche à ce qui nous paraît familier sans qu’on puisse s’y intéresser plus que ça. Il manque un truc auquel on courra sur la quasi totalité du disque : une tension, une maîtrise de la décharge électrique, qui irradiait les albums de jeunesse. The Unconscious et Hollow s’appuient sur une mélodie vocale quasi identique, ce qui n’aide pas à leur donner du relief. Le deuxième morceau est le plus efficace des deux et sonne comme une bonne face B de Oasis, c’est-à-dire pas tant que ça comme un single des Boos à leur meilleur.
On croit comprendre ce qui se passe avec Skeleton Woman, titre qui chaloupe sur un faux rythme reggae et ne développe aucune idée véritable. Les Boo se sont probablement retrouvés en studio avec plein de matos et probablement peu de titres aboutis ou travaillés. Les morceaux ressemblent à ces boeufs auxquels on finit par donner une forme définitive après trois heures à travailler en studio pour rentabiliser l’investissement. C’est ce à quoi fait penser Now That’s What I Call Obscene, un motif peu évident, un refrain incertain et un accompagnement qu’on étire pour faire semblant qu’on tient une chanson et parce que le chanteur a décidé de poser sa voix dessus. C’est exagérément enthousiaste et enlevé mais on y retrouve pas le charme tortueux et les arabesques des Boos. Trop simple, trop direct, on dirait un titre de My Life Story sans la folie de Jake Shillingford.
Est-ce qu’on peut être et avoir été ? On aurait juré que oui, mais on est un peu moins sûr maintenant. On peut sans doute faire comme si… faire comme les Pixies… faire comme d’autres. Utiliser la grammaire, conjuguer les verbes, chanter tout comme, coder dans le bon idiome, mais sans parvenir à ce que la langue soit aussi vive et compréhensible qu’auparavant. Eight est tout sauf un mauvais album. C’est un disque agréable mais qui n’offre qu’une vague réminiscence du pouvoir poétique et de la puissance des Boos du passé. On a un peu de mal avec Way I Am qui tente de retrouver les ruptures de rythme d’hier mais se perd dans les changements de tempo et se brise en quatre morceaux comme on découperait un ver de terre. A Shadow Darker Than The Rest est élégant mais manque de souffle.
Le dernier tiers du disque est la partie la plus intéressante et la plus réussie. Les Boo Radleys déposent quelques pépites qui justifient le trajet à l’image de l’excellent Sometimes I Sleep, balade minimaliste que Sice exécute à la perfection et qui constitue l’un des meilleurs moments du disque. Dust, dans un registre empreint de nostalgie et attentif au temps qui passe, fonctionne tout aussi bien. La conjonction du chant et des guitares rappelle les séquences de transition légères et aériennes de jadis, sans que le groupe cherche à en rajouter. C’est précis, sans gras et de toute beauté. On pense à un morceau oublié de Big Star, l’une des références un peu étranges qu’on peut convoquer en écoutant la musique des Boos. L’accélération finale a beau être un peu forcée, How Was I To Know est très réussi aussi et contribue à contrebalancer une première moitié d’album un peu poussive.
Au final, Eight sonne comme un album de l’entre-deux. Moins excitant et indispensable que les albums originaux, un poil en retrait par rapport à un album de reformation qui avait surpris positivement, il développe tout de même de belles qualités qui n’enlèvent pas l’impression gênante que le groupe, bien que maître de « son son », ne sait plus trop quoi en faire et surtout n’a pas d’autre projet que de continuer à jouer. Les Boo Radleys ne veulent plus défier les Beatles en combat singulier, ne veulent plus rivaliser avec les Beach Boys. Ils ne veulent plus soulever les masses et monter une révolution populaire. Ils ne veulent plus rallier les jeunes. Ils veulent juste s’amuser, tourner et s’offrir un dernier tour de piste honorable. C’est bien, louable, agréable mais sans doute pas suffisant pour qu’on tienne encore longtemps.
02. The Unconscious
03. Hollow
04. Skeleton Woman
05. Now That’s What I Call Obscene
06. Way I Am
07. A Shadow Darker Than The Rest
08. Wash Away That Feeling
09. Sometimes I Sleep
10. Sorrow (I Just Want To Be Free)
11. Swift’s Requiem
12. Dust
13. How Was I To Know
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