The Lemonheads / Varshons II
[Fire Records]

8 Note de l'auteur
8

The Lemonheads - Varshons 2A l’inverse de Weezer qui s’y ridiculise, Evan Dando et ses Lemonheads ont trouvé dans l’exercice des reprises un mode d’expression qui correspond parfaitement à leur légendaire paresse. Ce n’est un secret pour personne, Evan Dando est une énorme feignasse qui a toujours tiré le strict minimum des immenses talents que la nature lui avait confiés : beauté physique redoutable, bonnes origines sociales (mère mannequin, père avocat), culture East Coast bostonienne parfaite, créativité précoce, etc. Dando a raté ses examens à la fac. Il a réussi dans la musique à partir de 1992-1993 et aurait pu à l’époque s’imposer comme l’un des hérauts/héros durable du grunge américain et pourquoi pas tutoyer son exact contemporain (ils sont nés à quelques jours d’écart en 1967), Kurt Cobain, au panthéon des grands chanteurs légendaires. Mais Dando a préféré sombrer dans la drogue, sans mourir, ce qui est probablement sa plus belle réussite (on a dit qu’il avait tous les dons). Il a fumé du crack au point de ne plus pouvoir parler. Il a raté un nombre incalculable d’occasions de bosser et de se faire valoir et a préfiguré, en plus classe et joli, à bien des égards la destinée funeste (et grotesque) de Pete Doherty avec quelques années d’avance. Pour pas mal d’observateurs, la carrière discographique de Dando est un beau gâchis mais un gâchis qui a du style tout de même  et qui laisse derrière lui de belles promesses, un ou deux bons albums et des tas de bonnes chansons, en même temps qu’un paquet d’anecdotes XXL. Ses aventures avec Daniel Treacy, des Television Personalities, en 1989 au moment de la chute du mur de Berlin sont épiques. On en réserve le récit à une autre occasion mais tout ceci donne au personnage un charme quasi légendaire qui n’occulte pas le fait qu’il aurait pu faire beaucoup mieux.

Depuis sa pseudo résurrection du début des années 2000, Dando n’a pas franchement risqué la surchauffe. Un album des Lemonheads en 2006. Un album solo en 2003 et en 2009, une première sélection de reprises, Varshons, d’excellente facture qui mêlait reprises de Wire, de Gram Parsons ou de Leonard Cohen. The Lemonheads y excellaient dans un registre classique, respectueux des originaux et en même temps extrêmement précis et appliqué. La décontraction de Dando et sa désinvolture servaient les morceaux et les ramenaient dans le champ de l’élégance, nimbant l’ensemble dans une tristesse diffuse soyeuse et confortable. Avec ce Varshons II, qui sort chez Fire Records, le miracle se reproduit dix ans plus tard avec encore plus de charme et d’efficacité. La formule est servie par des musiciens discrets mais impliqués qui n’hésitent pas à travailler sur la matière pour donner aux reprises une texture chaude et surprenante. C’est ce qui transparaît à l’écoute du Don’t Forget des Yo La Tengo, qui peut passer comme assez peu imaginatif au prime abord mais finit par la facilité qu’il dégage à être 10 fois plus cool que l’original (ce qui est une performance). Dando évolue dans un registre de crooner butinant, léger comme l’air et suave comme une goyave à la moisson. Sa voix est claire et chaleureuse, accueillante mais jamais affectée. Speed of The Sound of Loneliness (John Prine) est un bonheur bluesy, quelque part entre Will Oldham et Bruce Springsteen. Dando est grassroot sur l’ennuyeux Straight To You de Nick Cave, génialement country sur le superbe Take It Easy des Eagles.  Il se fait plus folk sur le beau Old Man Blank du Bevis Frond, qui vient compléter à merveille une sélection qui explore les racines du rock international. Alors que Varshons I tournait un peu plus autour de l’indie rock, cette collection de morceaux pose plus aux classiques, à l’apaisement et à la recherche d’une forme d’intensité originelle. Dando s’amuse à chanter comme Lou Reed sur Now And Then (Natural child) et module sa voix avec une insolence et une aisance qu’on n’avait pas croisées depuis David Bowie. Notre chanson préférée du disque reste le Things de Paul Westernberg, sublimé par le timbre de voix de l’Américain.

A l’exception d’un Unfamiliar (The GiveGoods) mi-reggae, mi-psychédélique et d’un TAQN (The Eyes), rock et un peu raté, la prise de risque des Lemonheads est très réduite et l’ensemble plutôt pépère. Il n’en reste pas moins que le travail est plus que correctement fait, interprété avec un certain panache et un engagement tout à fait convaincant. Dando exprime à travers ces reprises toute la fatigue accumulée par sa vie d’errance, l’émotion lessivée par les déceptions et les chutes, mais aussi la joie qui vient du détachement et du bonheur de faire encore de la musique. Il y a dans ce Varshons II beaucoup de dignité et de plaisir, en même temps que la confirmation du constat bien injuste selon lequel le talent ne disparaît jamais tout à fait. Evan Dando aura beau faire, il lui suffira toujours d’en faire très peu pour obtenir beaucoup. C’est cette facilité qui l’a tuée à de nombreuses reprises et qui l’a toujours maintenue à flot. On a l’impression que le bonhomme pourrait encore tenir longtemps ainsi, en en faisant juste assez pour nous donner l’impression qu’il pourrait en faire plus, et suffisamment peu pour que ça ne soit jamais trop.

Les Lemonheads seront le 10 mars au Gibus, à Paris.

Tracklist
01. Can’t Forget (Yo La Tengo)
02. Settled Down Like Rain (The Jayhawks)
03. Old Man Blank (The Bevis Frond)
04. Things (Paul Westerberg)
05. Speed Of The Sound Of Loneliness (John Prine)
06. Abandoned (Lucinda Williams)
07. Now and Then (Natural Child)
08. Magnet (NRBQ)
09. Round Here (Florida Georgia Line)
10. TAQN (The Eyes)
11. Unfamiliar (The GiveGoods)
12. Straight To You (Nick Cave & The Bad Seeds)
13. Take It Easy (The Eagles)
Écouter The Lemonheads - Varshons II

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