Les anciens sauveurs du rock, The Strokes, sont de retour après sept ans passés à s’éviter, à ne pas s’aimer beaucoup et à faire n’importe quoi séparément. The New Abnormal produit par Rick Rubin, le producteur qui répare les groupes malades, a été enregistré à Malibu et témoigne d’un net regain de forme chez les New-Yorkais. The New Abnormal manque d’énergie, de chansons rapides et uptempo, de rage et de vigueur mais est un album cohérent et qui s’écoute avec le regard dans le rétro et l’envie de recroiser un jour le groupe de Julian Casablancas, dans un stade en première partie de… Coldplay.
La musique du groupe n’a plus grand-chose à voir avec l’efficacité millimétrée de ses débuts. Finie la référence à Television et au Velvet Underground, la noirceur et la sécheresse post punk, les Strokes semblent aujourd’hui vouloir tirer la bourre aux Artic Monkeys et évoluer quelque part dans les années 80, mais plutôt celles de Billy Idol et de Duran Duran que de Cure et Wire. Ils pétillent et sautillent comme des jeunots pop, tandis que leur leader module sa voix comme à la parade, histoire de montrer combien il chante bien. The New Abnormal peut s’appuyer sur une poignée de chansons plutôt chouettes. The Adults Are Talking est excellente bien qu’un peu longue. Le chant de Casablancas, tout en falsetto, surprend mais la rythmique est entêtante et on tient là un vrai bon titre. Selfless étonne lui aussi par ses arrangements et toujours par cette hyperprésence du chant qui mobilise toute l’attention et finit, à force, par étouffer le morceau. On ne sait pas ce qui s’est passé ici mais il semble bien que toute notion d’équilibre ait disparu dans le groupe. Nick Valensi et Albert Hammond Jr aux guitares sont inspirés et élégants mais mangés tout cru par leur leader. Brooklyn Bridge to Chorus est exagérément séduisant. Les Strokes ressemblent désormais à Metronomy. Ils ont le clavier psychédélique et de la disco plein la bouche, mais ça fonctionne plutôt bien. Le refrain est entraînant mais le morceau a un peu de mal à remplir ses quatre minutes. Les Strokes auraient gagné à ne pas diluer leurs bonnes idées. Bad Decisions est présentée comme une relecture de Dancing With Myself de Billy Idol : on s’attendait à pire, mais il n’y a pas grand-chose à retirer d’un tel titre.
C’est sans doute exactement contre ça que les Strokes s’étaient engagés en musique : produire du rock patrimonial et dispensable. Voilà qu’ils y sont. On peut aimer cela et il faut avouer que c’est un peu mieux fait qu’ailleurs mais l’engagement et le savoir-faire dissimulent à peine le manque d’intensité et de choses à dire. Le groupe branche le pilotage automatique et fait ce qu’il faut. Les guitares sont bien placées, le chant toujours envahissant et démonstratif mais ça peut passer sur un malentendu.
Difficile tout de même de ne pas tiquer sur le paresseux Eternal Summer, sorte de morceau rock mouille-culotte criard et assez vulgaire, lui-même décalqué du Ghost In You des Psychedelic Furs. La rupture de ton à mi-chemin est caractéristique du groupe en crise et qui ne sait pas quoi faire des lambeaux de chansons qu’il a amassés en studio. Le cœur creux de l’album passe sans qu’on relève la tête. At The Door est insignifiant. Why Are Sunday’s So Depressing est cabotin et assez moche. Les Strokes font penser à Toto. Un grand groupe que le producteur lance dans d’affreux jams et dont il découpe les compositions en segments incertains de cinq minutes pour enregistrer un album. Vous laisserez les clés à la réception quand vous aurez fini. Not The Same Anymore a de faux airs de Libertines ralentis. Le groupe traîne les pieds et joue à l’arrêt comme s’ils allaient refuser de descendre du bus pour l’entraînement. Ode To The Mets permet de refermer cette affaire avec un peu de lustre et de dignité. « I was just bored. Playing the guitar », chante Casablancas, « Learned all your tricks, wasn’t too hard. It’s the last one now. I promise you that. » Voilà qui a une certaine allure. On dirait du Brett Anderson en moins bien mais entre déprime et sentimentalisme, The Strokes sauvent l’honneur.
The New Abnormal est un album assez moyen mais qui n’a rien d’un désastre. Deux ou trois bonnes chansons permettent de relever un fond de sauce mainstream et sans grand intérêt. Les plus imaginatifs liront ici, à l’arrière-plan, comme on lit dans les lignes de la main, la trace de l’ancienne gloire du groupe et le souvenir de leur son. Ce dernier est là, quelque part, sur le premier et le dernier morceau, mais comme ralenti par la sclérose et le manque de passion. On craint que cette Nouvelle Anormalité ne se change en une simple routine qui nous ferait vingt ans et une floppée de disques du renouveau dont on se passerait bien.
02. Selfless
03. Brooklyn Bridge To Chorus
04. Bad Decisions
05. Eternal Summer
06. At the Door
07. Why Are Sunday’s So Depressing
08. Not The Same Anymore
09. Ode To The Mets
Écouter The Strokes - The New Abnormal
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