Steve Strange n’est ni Bowie ni Barney. Loin du génie avant-gardiste comme du crétinisme touché par la grâce, le leader de Visage se rapprocherait plutôt d’un Phil Oakey (chanteur de The Human League), c’est-à-dire de l’artisanat modeste, du travail synthétique totalement tributaire d’un état d’esprit (l’aube des 80’s), d’un look (les garçons coiffeurs), voire d’un regain nostalgique (l’enfance vécue au son des premiers tubes niouwaive). Pour ne rien arranger, un titre de Visage, par inadvertance, est devenu symbolique du mouvement champagne / mascara : Fade to Grey, spleen robotique au succès tellement disproportionné qu’ayant condamné les autres compos de Steve Strange à un petit culte intimiste (les excellents Beat Boy, Night Train ou Pleasure Boys). Est-ce à cause de sa territorialisation new romantics que la musique de Visage, année après année, ne cesse de rejoindre la malle aux souvenirs (celle que l’on n’accepte d’ouvrir qu’au bout du trentième verre) ? Il manquait effectivement à Visage cette touche d’affect qui permit à Depeche Mode de revêtir l’allure de grands frères, cette ironie qui transformait Duran Duran en un malicieux pop band. Steve Strange n’avait pour lui (et c’est déjà beaucoup) qu’une capacité certaine à investir l’aire du temps (d’un temps), à lui proposer une bande son fatalement périssable car incapable du moindre renouvellement. Une musique dépendante de son époque.
C’est ainsi le problème que pose aujourd’hui Demons to Diamonds (August Day), album testament (involontaire) survenant quelques mois après le décès de Steve Strange (emporté par une insuffisance cardiaque). Visage reprend les choses comme si rien n’avait changé depuis L’Echo des Bananes et Les Enfants du Rock. Certes, les sonorités 80’s font dorénavant partie de l’ADN de tous musiciens contemporains, mais rarement en termes de doppelgänger : on s’y abreuve, on s’en amuse ; ce n’est jamais une finalité, bien plus un moyen d’entraîner sa musique vers d’autres élans (à l’instar du dernier A Second of June) comme vers le souhait de l’expérimentation (A Movement of Return, par exemple). Ce nouveau Visage, lui, hurle à la mort sa légitimité rétro, son droit naturel à ressasser le passé. Et sans doute Steve Strange a-t-il raison : dans ce pré carré que constitue la new wave, l’auteur de Fade to Grey possède une contribution. Simplement, cet apport ne concerne qu’un courant musical au demeurant assez limité, avec des bases intéressantes que les groupes actuels s’empressent de développer, de soudoyer parfois. Demons to Diamonds refuse catégoriquement cette idée de bifurcation pour lui préférer l’exercice de l’auto-citation, de la nostalgie un peu triste. Morbide…