[Soup Music #15] – Wejdene / Glow Up
[Universal Music / Virgin Records]

1.4 Note de l'auteur
1.4

Wejdene - Glow UpOn garde pas mal de tendresse pour Wejdene et son producteur Feuneu (quel patronyme). Le premier album de la jeune femme, 16, avait pour principale qualité de ne pas tomber dans tous les panneaux du genre (rythmes afro, paroles ineptes, altération systématique des voix), ce qui avait permis, malgré l’indigence globale du propos, de préserver une forme d’authenticité et de fraîcheur évidentes à l’ensemble. De façon assez curieuse, après le succès foudroyant des singles de l’intéressée (Anissa, notamment) son team avait choisi de ne pas presser le pas, laissant ici beaucoup trop de temps entre le premier album et le deuxième (sorti en fin d’année 2022).

Laisser deux ans entre deux disques dans cette industrie de la chanson pour ados s’apparente à un suicide immédiat. Et c’est évidemment ce qui se passe ici : Glow Up a été qualifié d’énorme flop sur les sites spécialisés. Aucun single n’en émerge et le disque représente un revers majeur pour Wejdene et son équipe. La team a par ailleurs fait parler d’elle parce que le jeune frère de Feuneu a trouvé la mort dans une rixe sournoise dans l’Essonne, où le jeune homme a reçu un coup de feu perdu dont la responsabilité accidentelle (?) est attribuée à son meilleur ami, le rappeur YKM. C’est ainsi la désolation et la tristesse qui ont accompagné la sortie du disque, tandis que Feuneu annonçait parallèlement se retirer du business de la musique.

Dans ce contexte, Glow Up prend des allures sépulcrales et presque testamentaires qui ne figuraient aucunement dans les intentions originelles mais qui tendent à renforcer l’attrait qu’on peut éprouver à l’écoute du disque. On peut ainsi être ému par le magnifique Bijoux, petite pépite intimiste que la chanteuse sublime en toute simplicité autour d’une instrumentation au piano minimaliste.

Ah mon bijou
J’pense à toi tout les jours
Sans t’voir j’suis tombée love
Mais dérange pas les secours
Ah mon bijou
Sert moi dans les mains plus fort
J’viens d’cramer une dinguerie
Mais j’aime quand t’accepte tes torts
Dit-moi bae, j’suis désolée
C’était une erreur, ça n’arrivera plus
Et la prochaine qui vient t’parler
Tu réponds pas, carrément met un vu
Dit-moi bae, j’suis désolée
Y’a qu’avec toi que j’veux construire un avenir
Dit-moi qu’j’suis ton médicament
Que quand je m’éloigne ça t’fait souffrir

Il faut avouer que pour un auditeur « mature » (entendre d’un âge avancé), les titres les plus intéressants sont souvent les plus dépouillés et « émotionnels ». On peut aimer ainsi la sensualité latente et la paix et l’harmonie qui se dégagent de Toi et moi, chanson relevant presque du trip-hop qui dessine une carte du tendre à la fois complexe et embouteillée. On est un peu moins sensible à des babioles pop comme Baby Boo qui renvoient trop à un réservoir automatique de bouses pour radio FM ou même à des pièces semi-festives comme Noche. La rythmique est plaisante et situe Wejdene dans un entre-deux dangereux où on perçoit qu’elle s’éloigne dramatiquement des postures de midinettes qui étaient les siennes il y a encore deux ou trois ans.

Est-ce qu’on a envie qu’elle densifie son propos ? Ou est-ce qu’on la préférait quand elle s’emballait pour un rien ? Paradoxalement, ce qui la rend plus intéressante signe de facto la fin de sa carrière au premier plan. Noche en est un bon exemple, beaucoup trop introspectif et analytique pour déclencher un mécanisme d’adhésion. Elle a beau déclamer :

Bah ouais j’aime trop la nocheC’est toi qui m’enivres, mais c’est toi qui m’abîmesElle te donnera jamais c’que j’aiJ’ai même pas la moitiéA vie j’ai signé, j’ai laissé me piloterOh mi amor, mi amor

On ne peut pas s’empêcher de penser que Wejdene n’est pas sortie et ne s’est pas amusée depuis longtemps et chante ses chansons en charentaises (roses, tout de même) dans un canapé isolé en matant des séries sur Netflix comme tout le monde. Glow Up porte mal son titre : il est tristoune et mélancolique. Ames soeurs fout le blues et les tentatives de faire décoller Jamais sont immédiatement ramenées lourdement à la dépression d’avoir été quittée. Le disque est désespéré et macabre, à la limite de la morbidité. Sur A deux, elle fantasme une relation qui serait enfin réparée et épanouissante mais il est assez difficile d’y croire et de ne pas sentir son manque de conviction et de foi en l’avenir.

« T’as éteint mon feu », avoue-t-elle un peu plus loin, signant un aveu presque tragique qui explique sa dégringolade. Wejdene n’y croit plus. Elle a perdu son allant, son énergie et son enthousiasme. C’est un beau déchet et quand même bien dommage quand on entend à quel niveau elle peut évoluer dès qu’elle est mise dans de bonnes conditions. Il suffit d’un petit feat avec Alonzo sur Complexe pour que la jeune femme redevienne pertinente et passionnante dans son évocation du quotidien (ici, de l’acceptation de son copain par son père). Glow Up marque sa chosification et la disparition de son histoire personnelle au profit d’un usage extensif de mots et de sentiments valise qui sont détachés de tout contexte. Rebeu Renoi sur l’amour impossible d’un black et d’une rebeu qui ne sont pas du tout caractérisés atteint un sommet d’abstraction qui nous dépasse et est condamné à l’échec d’emblée.

On touche ici le cœur de la Soup Music, la tendance à la dilution de l’individu et de ses caractéristiques dans un « flux générique » et qui ne vise qu’à reproduire ou imiter une émotion « vue sur les réseaux » et entrant en résonance avec une sorte de mémoire collective implicite. On entend ses tentatives d’écho-conscience sur des titres surimi bidons tels que Poto ou Non. C’est un désastre complet. Il ne s’agit pas tant ici de parler aux gens que de parler de soi ou au moins de quelque chose, ce qui n’est plus le cas. On peut se retenir à un rythme ou à un élan fictif (Anniversaire) mais Glow Up ne fait illusion qu’à de trop rares occasions : c’est un disque désastreux mais qui est bien plus intéressant pour illustrer une chute contemporaine qu’un film comme Babylon !

Ecoutez 8.10 et goûtez le parfum amer de la chute mise en abîme. Wejdene tente de stimuler la créativité, l’espoir chez ses auditeurs potentiels. Mais le ressort est cassé. C’est l’effet boomerang. Une désintégration en direct, une explosion en mille morceaux qui fait penser à ce qu’Elvis Presley ou Johnny Cash ont fait de plus sinistre. Glow Up est un disque-tombeau, terrifiant et déprimant.

Tracklist
01. Noche
02. Défilé
03. Baby Boo feat. Nej
04. Toi et Moi
05. Bijoux
06. Ames soeurs feat Kany
07. Jamais
08. A deux
09. Complexe feat Alonzo
10. Rebeu Renoi feat Genezio
11. Poto
12. Non
13. Anniversaire feat Heuss l’Enfoiré
14. 8.10
Écouter Wejdene - Glow Up

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Cette fois c’est sûr : Rock & Roll Has Died (sur scène)
Cette fois, c’est fait. Plus attendue encore que l’annonce du résultat des...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *