Darius / Oasis
[Roche Musique]

8 Note de l'auteur
8

Darius - OasisY aurait-il une musique pour les gens beaux ? Si c’est le cas, l’Oasis de Darius leur est destiné. Oh oui : la nature nous est cruelle. Le protégé producteur et DJ de la chic officine Roche Musique donne suite, cinq ans plus tard, à son premier album Utopia. Pour nous, pauvres êtres rassis, Oasis est là pour nous faire miroiter un mirage que nous avons oublié de voir depuis un bout de temps : la vie en vacances ; ou plutôt, les vacances de la vie.

L’entrée en matière est rude. Feelings nous replonge en nous. Nous reviennent les souvenirs d’années de marée douce, nous reviennent l’extase des corps mats et tannés offerts au soleil, et on pleure, on pleure de joie, et pas que de larmes, on remercie toutes ces beautés ayant traversées nos yeux. Tout comme le reste de l’album, l’introduction nous trempe dans une poche amniotique, quelque part entre 90 et quelques et 2000 quelque chose.

Disparaître ici

La musique de Darius est purement de notre temps. Elle ne répond pas forcément au passé, mais pourtant, elle ne peut s’empêcher de l’appeler, de lui jeter un regard bienveillant. C’est comme si celle-ci avait digéré des centaines d’écoutes de funk, de soul, et de toutes ses mutations électroniques qui s’ensuivirent, par un Darius juvénile, pour le faire revivre de manière différente, sous une enveloppe nouvelle. On devine ici les climats flottants d’Erykah Badu ou la moiteur tendre de Jamiroquai un peu plus loin. Dans Easy Your Mind, par exemple, l’élan de violon rappelle immédiatement Little L du britannique, tout comme l’album Champs Élysées de Bob Sinclar (lui même marqué par Cerrone et d’autres figures de ce genre, vous voyez comme cela se recoupe ?), alors qu’à la plage 6, on remonte encore l’arbre musical et on est pas peu fier de percer l’hommage au superbe morceau de Kool & The Gang Summer Madness, hymne de langueur, avant de redescendre en s’apercevant que la référence (que l’on retrouve également plus tard le Sunday) est un peu trop appuyée vers sa fin.

Quel meilleur titre que celui-ci, celui des Kool & The Gang, pour faire ressentir le but cherché par l’album ? Nous voilà baigné dans un état d’apesanteur, d’évanescence, de farniente total, de ralenti. Cela en est presque énervant, l’état d’ataraxie des belles dames sur leur transat, cette pesanteur du rien. C’est un peu la marque du label Roche, sa signature. Avec le chanteur nigérien Wayne Snow, on se laisse croupir pour atteindre l’Equilibrium du farniente avant de butiner une Material Girl nous le rendant bien.

Nous sommes peu ou prou dans les mêmes eaux que l’EP Blue Phases de LaBlue et Astrønne, celles des petits et grands bassins de Zimmer et Kaytranada. Cette french touch 3.0 mélangée avec du funk et de la soul, décontractée, raffinée, chaude et coulante. Comme l’état brumeux des héros de Baleine en son début, la merveilleuse nouvelle de Paul Gadenne, l’album nous maintient dans un état de paresse animale d’où l’on descend si volontiers vers la torpeur. Voilà la principale force et faiblesse de cet album : proposer différentes teintes d’un même et unique hédonisme. Mais contrairement au dernier album de Maud Geffray ou à celui de Boys Noize, pour prendre d’illustres exemples récents d’albums électro, il n’y a pas ce sentiment de complétude, mais plus celui de faire face à un EP allongé pour nous faire uniquement du bien. Avec Rise, on se laisse avaler par nos poufs, on s’évapore dans des lèvres capitonnées. Le collègue Duñe vient à la rescousse pour Feels Right, peut-être le meilleur morceau vocal d’un album se voulant plus pop, instrumentalement tangible, donnant un aspect sucre-glace à la voix, similaire aux exercices faits par Tame Impala. On a l’impression de se mouvoir dans les tableaux de piscines et villas de David Hockney, mais habitées ici par les créatures des légendaires compilations Hed Kandi. Un luxe de cristaux et d’appliques, de sourires lourds en promesses et de moues impériales.

Oisif is good

C’est une musique de suspension, d’inaction, de vacances d’été. Où on passe ses journées à regarder le soleil et des fleurs de jeunesse, bref, pour tout dire, à ne rien faire, sans crainte pour le lendemain, car celui-ci sera aussi beau et identique, si ce n’est plus grand en surprises. Avec notre Cherie italo disco du jour, on contemple la rosée du matin perlée, et là, on croise un nouveau regard caché par des lunettes de soleil, mais plein de promesses, on se laisse percer par des gorges pleines de vie, des jambes à n’en plus finir, l’exaltation d’une possible émeute. Alors on change de Cherie pour mieux prendre le Grand Large. On se sent presque illégitime d’en avoir tant vu, de ces peaux toutes mouillées. On prends notre Nokia 2004, pour sextoter et tirer à la ligne 3631 G*O*D : « Dieu, existes-tu? » Tut-tut-tut-tut-tut… On nous souffle que Lui aussi est occupé.

C’est finalement dans ses titres uniquement instrumentaux que Darius convainc le mieux, dessine la forme d’un véritable album, ces sentiments de finitude et de variété que l’on cherchait. Qu’il nous renvoie à nous-même, comme on irait à la pêche aux souvenirs douloureusement agréables. Les sonorités sont aqueuses, réfractantes et ondulatoires, comme un coulis étoilé, comme le goût d’un brownie magique que votre beau jules, mesdames, aurait confectionné nu sous son tablier. Est-ce que, finalement, ce ne serait pas la musique qui nous rendrait beaux et belles quelques instants? On planche dessus pendant trois heures et on fait des heureux.

Papillonner et batifoler, tel est notre ghetto. Accompagné de l’américain Flwr Chyld, Can’t Let Go est comme nous, flâneur, d’une indolente désinvolture si nu soul. Toute bonne chose a sa fin : on arrive à Imagination, et là, c’est l’extase totale. On tient, ou plutôt tiendrait un hymne french touch si celui-ci était sorti il y a pile deux décennies, là même où nous nous situons. La piste ressemble un peu au célèbre Breathe de Télépopmusik dans sa dimension éthérée, mais en forme de string brodé. On retrouve les senteurs de pins, la chaleur des plages et des peaux brunies, des cheveux en cascade. On replonge en elles et en nous, en eux et en vous. Sortez à poil, il pleut des larmes!

La villa semble apaisée, en apesanteur : les vacataires ont probablement fait l’amour. C’est chose bonne. Oasis est un album pour dilettantes professionnels et nostalgiques d’étés sans ombres, quelques part dans ces années-là. Peut-être qu’un jour Darius accouchera d’un album plus complet et furieux, moins ensoleillé et plus foudroyé, mais ne jouons pas les fines bouches : tout va bien, il fait encore bon dehors.

Tracklist
01. Feelings
02. Equilibrium (& Wayne Snow)
03. Nothing To Me (ft. Khadja Bonnet)
04. Material Girl (ft. Lo Village)
05. Easy Your Mind (ft. Devin Tracy)
06. Winter Sadness
07. Rise (ft. Benny Sings)
08. Grand Large
09. Feels Right (ft. Duñe)
10. Cherie (ft. Darianna Everett)
11. Faded (ft. Amaria)
12. Sunday
13. Can’t Let Go (ft. Flwr Chyld)
14. Imagination
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Dorian Fernandes
Sofia Coppola et Bryan Ferry font l’amour pour H&M : direction Avalon (1982)
Il n’y a encore pas si longtemps, une publicité pouvait nous émouvoir. Dépasser...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *