Wire / Mind Hive
[Pink Flag]

9 Note de l'auteur
9

Wire - Mind HiveDécidément 2020 commence bien. Après Vagina Lips et son Outsider Forever hier, voici un autre album extraordinaire qui tombe : c’est Noël après l’heure. Rien de neuf cette fois : juste le dix-septième essai de Wire. Le groupe de Colin Newman n’est pas loin de fêter ses 45 ans d’activité et n’a jamais semblé plus à son avantage que sur ce Mind Hive compact, dense et truffé d’idées.

Newman a, par le passé, joué avec nos nerfs : trop expérimental, pas assez de chansons, répétitif. Mais il a aussi réussi à accrocher, après des débuts irréprochables, plusieurs chefs d’œuvre à sa ceinture. Mind Hive se situe très haut dans la hiérarchie des réussites du groupe. On ne s’amusera pas à dire qu’il est aussi bon que Pink Flag ou 154, cela n’aurait aucun sens, mais c’est un album qui porte haut et fier la bannière du post-punk. Mind Hive est engagé, incisif, varié et surtout traversé par une énergie vibrante et qui tient en haleine tout du long de ces neuf titres. Le groupe joue sec et précis comme à ses meilleures heures. Cela s’entend dès l’entame avec un Be Like Them, impressionnant de détermination. Le chant de Newman est placé très avant, saccadé et mécanique, comme pour porter la sanction et réclamer la peine maximale. Le capitalisme en prend pour son grade, ses complices avec lui. Le groupe dénonce la mauvaise qualité des rêves qu’on nous présente : le bonheur par l’argent, la course à l’échalotte, les mirages de l’époque. Le message est archétypal mais délivré avec une telle rigueur, une telle solennité qu’on prend la mise en garde en pleine figure. Mind Hive n’a rien d’un prêchi-prêcha. Wire est un groupe subtil, mélodique et qui s’appuie souvent sur des guitares séduisantes et des sonorités presque pop pour prononcer son évangile. Cactused est un titre plus rentre-dedans, immédiatement séduisant et pop. La dernière minute est un enchantement, entre britpop à la Menswear (on rigole) et synthpop flamboyante. Le mélange de la structure rythmique new wave et des synthés est impeccable et dessine un équilibre quasi parfait qu’on retrouve sur l’efficace et légèrement plus musclé Primed And Ready. Wire évolue dans un format parfaitement maîtrisé : celui de pièces qui émargent entre 3 et 4 minutes, ramassées et sans gras. Cela a son importance. Mind Hive est un album qui dit beaucoup de choses mais qui sent l’urgence à plein nez et ne perd pas son temps en intros, en ponts intempestifs ou en effets de manche. Off The Beach, qui est peut-être le meilleur titre du disque, tient en deux minutes et dix-neuf secondes. C’est un petit miracle : pop et dansant mais lucide et sans appel. « Have you ever been washed out the beach ? People shopping, buying, selling. People smoking, joking, hoping. Have you ever been washed out the beach ? People disappearing. CC Cameras. People sleeping broken. People lying, homeless dying. » La vie ramassée en quelques images. Surveillance, business et gens qui expirent derrière le front de mer. C’est de toute beauté.

Mind Hive prend ses quartiers de lenteur après ça. Unrepentant et Shadows constituent un temps « lent » et contemplatif que le groupe négocie correctement et qui constitue une forme de respiration dans le disque. Shadows est un beau titre hanté où les ombres du passé et du futur à naître s’entremêlent pour offrir une perspective incertaine. Oklahoma assure une relève tonitruante. On ne sait pas trop d’où vient ce titre mais il fait son effet. On se croirait un temps chez Scott Walker, tant en raison d’un chant inhabituel que parce que l’instrumentation fait régner la terreur et la peur sur la pièce. La seconde partie du titre est plus classique mais tout aussi emballante. Newman prône la spontanéité et une forme de sauvagerie. « I was dying, overrehearsed. » Etrange, tout comme l’est le morceau de résistance qui suit, soit près de huit minutes de Hung, un titre expérimental et passionnant, qui vaut à lui tout seul le déplacement. Qu’est-ce qui peut conserver une telle flamme et une telle vigueur à un groupe, plus de quarante ans après ses débuts ? Est-ce l’amour de l’instrument ? La puissance du son ? La persistance de la colère ? La rébellion ? Hung est un instrumental magnifique, hypnotique, puissant et vrombissant. C’est une menace, une mise en garde en même temps qu’une peinture des temps troublés. On peut y avoir l’avenir et le passé mais aussi un condensé d’histoire contemporaine. L’éclaircie finale est magique et conduit à la caresse finale, un Humming lumineux et qui conclut avec classe un album proche de la perfection. « I can’t quite remember, when it went wrong. Someone was humming a popular song. », chante Newman, dans une recherche de compréhension qui rapproche cet album du dernier Pere Ubu. Même âge, même urgence et même volonté de cartographier le territoire depuis les années 70 jusqu’à nos jours. La musique est la liaison. La clé du voyage dans le temps. Elle permet de voir à travers les époques. C’est ce qui est à l’œuvre ici : la précognition, du désastre qui vient et des espoirs qui naîtront après lui.

Mind Hive est le disque qu’il vous faut. Pour être plus heureux et plus intelligent. Il ne ramènera pas l’amour de votre femme et ne vous apportera pas la prospérité. Il ne vous guérira pas de la maladie. Mais il fera suffisamment de trucs pour que vous ne regrettiez pas votre investissement. Une ruche pour l’esprit.

Tracklist
01. Be Like Them
02. Cactused
03. Primed And Ready
04. Off The Beach
05. Unrepentant
06. Shadows
07. Oklahoma
08. Hung
09. Humming
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