Yo La Tengo / Extra Painful
[Matador / Beggars Banquet]

Yo La Tengo - Extra PainfulLorsqu’il s’agit de citer les 10 artistes figurant dans mon Panthéon, pas une seule fois ne me vient en tête le nom de Yo La Tengo, alors que quelques élus pourraient être jugés comme « mineurs » par d’autres. La faute à la discrétion légendaire du trio, à sa modestie, à son absence de charisme face à l’appareil photo, à l’absence de frasque et à la stabilité de son line-up depuis vingt-cinq ans.
De même, à l’heure de sélectionner une poignée d’albums indispensables dans la discothèque, il y a bien peu de chance que je pioche Painful (Matador/City Slang – 1993). D’ailleurs, la réédition de cet album publiée à la tout fin 2014 aura mis plusieurs mois avant de rejoindre ma platine.

Pourtant, Yo La Tengo figure parmi les très rares groupes dont je n’ai pas raté un seul album depuis la découverte profondément marquante de May I Sing With Me (Alias – 1992), cet album en forme de trait d’union dans mon parcours musical, entre les guitares bavardes et dissonantes et les mélodies lumineuses, entre la rage du rock et la mélancolie de la pop. C’est que le trio du New-Jersey a rarement déçu et même si tout n’est pas indispensable dans sa copieuse discographie (l’exercice de style folk Fakebook reste par exemple complètement dispensable et n’a d’autre intérêt que sa valeur ethnographique), Yo La Tengo ne souffre pas de l’usure du temps, comme en atteste le flamboyant Fade, leur dernier album en date (Matador – 2013).

Et parmi les sommets de ce groupe dont on oublierait presque qu’il est devenu au fil des années une valeur refuge d’une industrie du disque moribonde (on vous invite à ce sujet à vous replonger dans le passionnant papier paru dans la revue Voxpop, en mai 2011), Painful constitue une pièce de choix. Ici, Ira Kaplan, Georgia Hubley et James McNew ont trouvé le parfait équilibre entre leurs aspirations. Les mélodies sont éminemment limpides et lumineuses malgré des saillies de guitares, des synthétiseurs analogiques en dérapage (le moog furieux de Sudden Organ mis sous l’étouffoir), des ruades rythmiques. Entre Big Day Coming, joué le frein serré en ouverture (plus loin, le groupe interprète le même morceau en bandant les muscles) et l’étourdissant mantra I Heard You Looking, Yo La Tengo fait le tour de ce qui faisait de mieux de la scène des 90’s – en balayant de fonds en comble nos émotions. Rien que pour ces chansons qui n’ont pas pris une ride en plus de vingt ans et n’avaient pas besoin d’un nouveau mastering (contrairement à nombre des productions de l’époque), posséder ce disque est indispensable.

Mais ce qui pousse à lâcher un billet (voire deux) pour acquérir cette réédition Extra, c’est bien le deuxième disque qui regroupe dix chansons supplémentaires. C’est l’occasion de vérifier, si besoin en était, que le talent du trio va bien au-delà de la simple faculté à dresser des murs du son dans la brume ou inversement, à déchirer un brouillard épais à grands renforts de fulgurances électriques. Même dans leur plus simple appareil et sans l’aide du producteur Roger Moutenot, dépositaire du « son » du groupe, les compositions touchent à l’intemporalité comme le démontrent les versions acoustiques de From A Motel 6 ou Big Day Coming. Sur l’album, tout parait facile et bien en place, alors que les trois musiciens sont de véritables stakhanovistes de studio, enregistrant de nombreuses versions alternatives, cherchant à tâtons lors de longues expérimentations (en atteste les démos de Nowhere Near ou Double Dare). Et pour ceux qui en douteraient sur la foi de leurs looks d’intellectuels débonnaires, Yo La Tengo est aussi capable de se lancer dans un galop primal digne des Ramones (!) ou de balancer un pavé punk rock binaire (les inédits Tunnel Vision et Smart Window). Puis d’enchainer avec une ballade cotonneuse – le chouette morceau Slow Leaner écarté du tracklisting final de l’album.

Fort de cette prolixité et de sa générosité, Extra Painful compte de surcroit en « bonus des bonus » un coupon permettant de télécharger pas moins de quinze autres morceaux en live et le single Shaker, paru en 1993. Ce morceau, absent de l’album, dévoile le visage le plus dur de Yo La Tengo, pas très loin de la no-wave new-yorkaise. D’ailleurs, c’est le chanteur de Fugazi qui nous semble bien entendre au téléphone sur une version ésotérique de Sleeping Pill Excerpt From Ian Mackaye. La qualité sonore des morceaux enregistrés live est très aléatoire, mais chaque morceau choisi permet de parcourir le spectre couvert par Yo La Tengo : le brouillard d’Ashes On The Ground dans une veine proche des voisins de pallier Galaxie 500, Nutricia qu’on imagine écouter en traversant les Grandes Plaines (on dirait du Lanterna), Big Day Coming qui sonne comme du Velvet Underground… C’est-à-dire grosso-modo tout ce qui nous plaisait à l’époque – et dont on peut encore se délecter aujourd’hui par la grâce des effets de mode.

Les fans ultimes qui s’interrogeaient encore sur la nécessité d’acheter cette réédition trouveront donc matière à réponse. Les autres devraient déjà avoir compris les raisons qui nous ont poussé à user ce disque lors de sa parution et le chérir encore aujourd’hui – voire même de le réévaluer à sa juste valeur des années plus tard.

Tracklist

Painful (1993)
1-1 Big Day Coming 7:04
1-2 From A Motel 6 4:08
1-3 Double Dare 3:28
1-4 Superstar-Watcher 1:42
1-5 Nowhere Near 6:01
1-6 Sudden Organ 4:42
1-7 A Worrying Thing 2:53
1-8 I Was The Fool Beside You For Too Long 5:04
1-9 The Whole Of The Law 2:19
1-10 Big Day Coming 4:14
1-11 I Heard You Looking 7:01

Extra Painful Bonus Disc (1992-1993)
2-1 Nowhere Near (Demo) 7:14
2-2 From A Motel 6 (Live Acoustic) 3:44
2-3 Tunnel Vision (Unreleased Instrumental Demo) 1:43
2-4 Sudden Organ (Demo) 7:24
2-5 Smart Window (Unreleased Painful Session) 3:16
2-6 Big Day Coming (Live Acoustic) 3:10
2-7 Slow Learner (Unreleased Demo) 6:48
2-8 Double Dare (Demo) 3:24
2-9 A Worrying Thing (Demo) 2:57
2-10 I Heard You Looking (Live) 9:17

Extra Painful Bonus Download
3-1 Shaker 3:18
3-2 For Shame Of Doing Wrong (8-Track Version) 4:44
3-3 Double Dare (Sominextraction) (Live At CBGB, 1/31/92) 5:38
3-4 What She Wants (House Of Music, West Orange) 2:54
3-5 Ashes On The Ground (Live At SIR, 9/29/93) 5:13
3-6 Nutricia (Recorded At Snack Time) 5:04
3-7 For Shame Of Doing Wrong (Slide Version) (House Of Music, West Orange) 4:36
3-8 Superstar Watcher (Recorded At Snack Time) 1:43
3-9 Big Day Coming (LIve At Reckless Records, 4/26/92) 19:01
3-10 I Was The Fool Beside You For Too Long (Live At SIR, 9/29/93) 4:39
3-11 Shaker (Live At The Batschkapp, Frankfurt, 1/3/94) 3:07
3-12 Artificial Heart (Live At Shank Hall, 5/11/93) 2:37
3-13 Whole Of The Law Loops (Painful Sessions, Water Music & James Apartment 1992) 2:45
3-14 Nowhere Near (Lounge Ax, Chicago 11/13/93) 6:04
3-15 Sleeping Pill – Excerpt From « Ian Mackaye » (Room Temperature, Brooklyn 2/20/93) 2:10
3-16 Big Day Coming (Live At SIR, 9/29/93) 3:45
3-17 Sudden Organ (Live At SIR, 9/29/93)

Ecouter Yo La Tengo - Extra Painful

Lire aussi :
Yo La Tengo / This Stupid World [Matador]

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Écrit par
Plus d'articles de Denis
Girl In Red : notre jeunesse a-t-elle encore un (bel) avenir ?
Un vieil adage, ou plus exactement pour les érudits une citation de...
Lire
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *