On saluait en début d’année le retour des Anglais de Day One en précisant que ces tentatives de mêler la pop, l’électro et un phrasé hip-hop avaient quasiment disparu de la scène indépendante depuis plus de dix ans. 2018 a été l’année du retour des genres, une année presque conservatrice où les groupes à guitares ont joué de la guitare (et de la batterie) et où chacun a fait ce qu’il avait à faire. En guise d’exception qui confirme la règle, le groupe franco-canadien Awards vient nous claquer le beignet (au sirop d’érable) en proposant avec Warm Computers la musique la plus enthousiasmante, transgenre et optimiste de l’année.
Warm Computers est un pur bonheur d’énergie et de dynamisme, un petit miracle d’équilibre entre une électro régressive à base d’instruments jouets, de sons Nintendo et d’electronica primitive, une voix de science-fiction où se mêlent les influences de Doseone, de John Lydon et de Plastic Operator. Awards est la rencontre de Thesis Sahib alias James Kirkpatrick, un artiste graphiste et rappeur canadien d’une quarantaine d’années, et du français Julien Senelas, aka Funken, que d’aucuns connaissent peut-être pour son travail avec Ira Lee au sein de The Fox Heads. L’histoire ne dit pas comment ces deux-là ont été amenés à travailler ensemble mais la collaboration a pris corps entre les deux continents pour donner cet album de 10 titres surprenant et addictif. La musique de Awards est joyeuse, uptempo. Elle est portée par la voix immédiatement reconnaissable du canadien, un peu nasillarde mais aux qualités de modulation remarquables. Son flow est rapide, habile et d’une belle élégance. Ses textes sont à la fois drôles et sensibles, centrés sur de petits récits du quotidien, d’historiettes et d’anecdotes servies par des images colorées, timides ou enfantines. L’accompagnement est très imaginatif et semble rebondir parfois littéralement sur les mots, donnant un ensemble léger comme l’air et tendrement primesautier. Certains morceaux ont une base pop plus élaborée à l’image d’un Going Nowhere Fast qui s’appuie sur une structure pop plus sophistiquée à base de batterie et de guitares. Le morceau ressemble à une chanson oubliée par New Order au milieu des années 80 et venue nous rappeler notre adolescence. Il y a une tendresse nostalgique dans les approches musicales d’Awards qui vient apporter un peu de profondeur à la légèreté globale du propos. L’un des seuls reproches qu’on pourra faire à l’album est d’ailleurs d’entretenir une homogénéité de ton qui peut amener à relâcher la garde sur la fin.
Difficile de rester de marbre à l’écoute d’une ouverture aussi brillante et incisive que Warm Computers, morceau manifeste de moins de 2 minutes, qui présente l’ambition du disque. « We could share the warmth of our computers » entend-on en guise de slogan à une présentation d’une musique qui s’est largement laissée contaminer par le numérique mais où l’humanité se niche dans la manière d’agencer l’électricité et de la manipuler, de la faire chanter et sourire à l’autre. Il y a une bienveillance et une joie de communiquer qui font des merveilles sur un début presque parfait. Dinosaur Bones est la chanson la plus séduisante et mémorable du disque. Le flow de Thesis Sahib est miraculeux, passant d’un flow ultrarapide à un refrain entêtant qu’on ne peut s’empêcher de reprendre en boucle avec lui au bout de deux minutes. Awards utilise des structures électroniques à base de boucle pour produire de l’attachement et une forme de connivence (d’oreille et de cœur) avec l’auditeur. Le trip hop (pour le coup très Day One) d’Ink or Paint fait merveille tandis qu’on s’amuse à retrouver la scansion si particulière du héros mancunien John Cooper Clarke dans l’assez génial I Care Hard, porté par une batterie punk hilarante.
Awards est aussi habile à soutenir ses idées musicales qu’à incorporer dans ses propres séquences des clins d’œil discrets à des genres cousins. Un peu new wave, post-punk ou math-rock par moment, on sent à l’œuvre une immense culture musicale en même temps qu’une volonté joueuse de travailler la matière première des sons. Bad Math, par exemple, renvoie à une électro plus sombre, limite gothique, que vient contaminer une petite séquence innocente. Le morceau remarquable vire à une grande sarabande dub sur sa seconde moitié qui n’est pas sans rappeler non plus le second degré d’un Go-Kart Mozart ou des Talking Heads de la grande époque.
Welcome To Goggle nous invite finalement à lire le disque à l’envers pour en découvrir le secret caché, ce qu’on n’a pas fait et pour cause : on s’est contentés d’écouter le disque… sans l’acheter à partir des liens d’écoute. Il faudra attendre la réception de notre commande (bah oui… ça nous arrive plus souvent qu’on ne le croit) pour en savoir plus.
Le secret est peut-être là après tout : acheter des (bons) disques peut rendre heureux, joyeux et faire que la vie soit meilleure. Warm Computers est l’un des disques qui compteront cette année, une découverte à ranger aux côtés du Bad Sounds dont on a parlé il y a quelques mois, parmi les pépites de cette année 2018.
02. Dinosaur Bones
03. Dog or Cat
04. Ink or Paint
05. I Care Hard
06. Unlimited Wishes
07. Going Nowhere Fast
08. Marks
09. Bad Math
10. Welcome To Goggle