En plus d’avoir un excellent titre, Bon à Rien, ce nouvel album de La Vilerie, qu’on avait laissé avec sa mixtape de mauvais goût en 2019, est sacrément réjouissant. Et comme on n’a quand même pas trop l’occasion d’écouter de la bonne musique en se marrant ces temps-ci, faire de ce Bon à Rien l’un de nos disques hip-hop favoris pour démarrer 2021 est un pas qu’on franchit aisément. Chez la Vilerie, tout est affaire de casting (excellent de bout en bout, mêlant valeurs sûres et jeunes premiers), d’attitude (l’humour, la franchise, la brutalité premier degré) et, tout de même, de qualité des beats.
C’est sur ce dernier point qu’il faut saluer la progression et le travail du beatmaker. On ne sait jamais s’il faut considérer ces CDs comme des mixtapes ou des albums à part entière. Il y a plein de monde dessus et on ne sait jamais précisément qui fait quoi ou comment c’est fabriqué. La Vilerie signe ici toute les prods et on peut supposer qu’on est bien dans un vrai album et pas juste dans un exercice de seconde zone où on rameute les amis pour remplir une galette. Bon à Rien se paie d’ailleurs une Nitro superbe à l’entame et un Otrou scratché craché en sortie qui posent l’ambition. Entre les deux, c’est un festival d’outrages et d’agression, de beats remarquables par leur variété et leur virtuosité, et de featurings mémorables. Ca démarre avec un incroyable Senor El Kalif en track 2 qui place la barre très haut et se classe dans les meilleures surprises du disque. Les mots claquent, bravaches et salaces. Le beat est énorme, entêtant et soigné. La Vilerie sait distiller de la puissance, sans recourir systématiquement aux gros sabots big beat. Le plus souvent, il souligne et surligne avec intelligence pour mettre en valeur le MC et lui laisser un espace grand ouvert pour poser son flow. Tout n’est pas décisif et certains morceaux et rappeurs sont clairement plus intenses que d’autres, mais l’ensemble dégage une force et une cohérence qui ne sont pas toujours si évidents à tenir sur la longueur d’un projet.
C’est la prod qui tient le C’est Gore de Monf et la prod encore qui donne un charme vintage façon Oxmo Puccino au Looseur passe-partout de FL How. C’est elle qui recouvre quelques faiblesses côté textes ou flow, mais elle aussi qui sublime les instants les plus costauds de ce Bon A Rien. Il faut souligner l’efficacité hypnotique du Nique le Voisinage de Hamorabi & Bonkar Jones, dont la réussite tient au moins autant au gimmick musical qu’à la performance des MCs. Cet album de la Vilerie sonne moins radical et acide que Mauvais Goût, moins dépendant aussi des punchlines et des effets spéciaux. On y trouve ainsi du rap classique façon 90s, à l’exemple de l’excellent Au Milieu du Béton, dans un style qui rappelle Iam, du poétique et littéraire, Poison de la Reziztance, ou encore de l’excellent Minable avec Evil Venom. Faire une telle place à ce rap vintage qui n’est plus si populaire mais permet à chacun de donner sa pleine mesure est à la fois courageux et signe de la maturité du projet.
On a déjà parlé de l’effet produit par Stick et Sad Vicious sur leurs Deux Singes en Hiver. C’est paradoxalement le plus provocateur des 14 morceaux et celui qui marque les esprits. On ne va pas se mentir : c’est dans le registre uptempo et « sale gosse » qu’on aime aussi retrouver la Vilerie. On prend son pied sur Platoon, lâché en pilotage automatique et trash avec Sekel du 91, mais c’est un genre qui ne peut fonctionner que s’il peut s’appuyer sur des tracks plus lentes et moins rentre dedans. Le final du morceau est d’ailleurs très intelligemment amené, désamorçant en partie la frontalité de l’assaut. Le final du CD avec le très bon Exotisme de Skalpel et surtout le remarquable Training Day de Stélio fait son effet. Ce dernier morceau repose sur un sample appuyé de Kraftwerk qui ajoute à la qualité de ce travail un charme historique supplémentaire.
Bon à Rien confirme que La Vilerie ne fait pas n’importe quoi et construit ses beats avec autant de créativité que d’intelligence. Avec sa variété de ton et d’univers, ses grands moments et ses clins d’oeil, le disque constitue un excellent moyen d’entrer dans une année hip-hop qu’on espère aussi insolente, référencée, trash et critique que ce Bon à Rien.
02. Senor El Kalif – Rien de bon
03. Monf – C’est Gore
04. FL How – Looseur
05. Saf Noruff – Jimmy
06. Hamorabi & Bonkar Jones – Nique le voisinage
07. L’officier Zen – Au milieu du béton
08. Stick & Sad Vicious – Deux singes en hiver
09. La Réziztance – Poison
10. Sekel du 91 – Platoon
11. Evil Venom – Minable
12. Skalpel – Exotisme
13. Stélio – Training Day
14. Otrou
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