Bruno Juffin / New York Dolls LOVE, L-U-V!
[Le Boulon]

7.9 Note de l'auteur
7.9

Bruno Juffin - New York Dolls LOVE, L-U-V!On abordait la chose un brin sceptique : livre court (160 pages) et sur un sujet qu’on connaissait par coeur ou presque, la biographie des New York Dolls, groupe glam précurseur du punk, emmené par David Johansen, Sylvain Sylvain (disparu en début d’année) et Johnny Thunders. Mais le livre de Bruno Juffin fait parfaitement le boulot.

L’ancien journaliste des Inrocks, expert du Velvet et des Stones, déroule un petit livre impeccable de concision mais dense et aussi pétri d’énergie et de fougue que son sujet. Ce n’est pas tant dans la richesse des faits et des anecdotes collectés ici, qu’on peut retrouver dans les livres en anglais sur le sujet (chaque Dolls y est allé de son bouquin et on trouve aussi pas mal de choses sur Johnny Thunders), que dans la manière de redonner vie à ce New York vibrant et interlope du début des années 70. Juffin restitue la faune de l’époque et déroule à toute vitesse une aventure rock n’roll haute en couleurs et en dope. Les Dolls s’assemblent, inventent leur propre style, prennent New York et puis c’est à peu près tout. La carrière de l’un des groupes les plus importants de l’écosystème punk (qu’ils précèdent et inspirent en partie) est avant tout marquée par l’échec commercial, collectif et discographique. Le groupe aurait pu mais non… Qu’il s’agisse de leur aventure londonienne initiale qui prend fin avec la mort de leur batteur Billy Murcia, de leur incapacité à saisir leur « génie » tout relatif sur disque ou de leur calamiteuse reconversion en pantins communistes de Malcolm Mc Laren en rodage d’avant les Pistols, le groupe essuie une succession de déveines qui donne une couleur tout à fait singulière à leur carrière… brillante mais non existante. On passera bien entendu sur les drogues et les luttes intestines, la rivalité entre Thunders et Johansen. Juffin dit tout cela de manière très fluide, brillante dans l’écriture et tout à fait passionnante, même si le côté foisonnant du livre obligera probablement ceux qui n’ont pas entendu l’histoire avant à relire deux ou trois fois chaque passage, tant les informations sont nombreuses.

Cette biographie a du style et n’oublie à peu près rien. Elle est académique, chronologique mais ne néglige pas les aspects humains et sociaux. Juffin met en perspective l’histoire du groupe dans l’univers glam rock ambiant, depuis T-Rex jusqu’au revirement d’un Bowie qui enterre les costumes à paillettes et scelle le sort de cette folie, mais parle aussi de New York et de son assainissement. Les New York Dolls existent dans une ville qui ne dort jamais, entre clubs et dancings, et s’enivre de sa propre audace. Rois de New York, les Dolls n’en sortiront vraiment jamais. La greffe à Los Angeles ressemble à une version électrique de Priscilla Reine du Désert et on prend plaisir à suivre le noyau dur Johansen/Sylvain dans ses retours au bercail. Contrairement aux apparences (les dissensions, les bagarres), l’histoire des Dolls est aussi une histoire d’amitié et une belle synthèse de l’Amérique rock, mêlant blues, rock et chanson qui s’assume puis provoque son propre nettoyage.

Juffin dit avec bonheur la postérité et l’importance des Dolls, entre ceux qu’ils ont inspirés (Morrissey en tête qui les réunira sur la scène du festival Meltdown) et la trace qu’ils laissent dans l’histoire. Le livre respecte un bel équilibre en n’oubliant pas de décrire l’apport de chacun et notamment en réservant une belle place à Johnny Thunders qui, s’il n’était pas le premier à se déguiser, portait le son sur sa guitare avant que Sylvain Sylvain ne prenne la relève. Jerry Nolan aurait mérité mieux. Le livre ne néglige pas non plus l’après en consacrant quelques pages (un peu rapides celles-là, mais on le comprend aisément) aux groupes et aux musiques qui suivent : qu’il s’agisse des Heartbreakers, de la carrière solo de Thunders ou des disques de la reformation. Le dernier album, Dancing Backwards in High Heels (2011), était très bon et peut s’écouter aujourd’hui encore. On peut entreprendre, sur la base du livre, une belle excursion qui va des albums lounge de Buster Poindexter (l’alter ego de Johansen) aux albums poignants d’un Thunders à la dérive.

LOVE, L-U-V s’impose comme le petit livre de référence en français sur les Dolls. Pas sûr qu’il ait beaucoup de concurrents mais encore fallait-il l’écrire aussi bien.

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1 Comment

  1. says: zimmy

    Effectivement court et dense. Et cela rappelle l’intérêt en 2021 des livres sur le rock. On peut trouver tel ou tel détail biographique sur un groupe, tel résumé de carrière mais le web ne remplacera pas les vrais récits romanesques de l’existence d’un groupe. Le cinoche non plus d’ailleurs, coincé entre les limites du format biopic hollywoodien et les machins conceptuels flirtant avec la pose type Todd Haynes.

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