L’histoire de la chanson française a été émaillée de chansons comiques plus ou moins intéressantes. De Dutronc à Bobby Lapointe, en passant par Henri Salvador, Richard Gotainer et des dizaines d’autres, la tradition de la chanson (un peu) comique ou souriante est une constante et une vraie ligne de développement de la chanson populaire en France. Est-ce qu’une chanson marrante peut-être une bonne chanson ? C’est évidemment la question qui se pose face à la recrudescence de ces titres ces dernières années. Le jugement qu’on peut porter sur l’évolution artistique d’un Philippe Katerine est à cet égard un bon symbole/symptôme d’un mouvement qui a explosé avec l’apparition d’une électro-trash florissante et qui nous gratifie chaque mois de trois ou quatre groupes nouveaux voués à faire le buzz (coup d’un soir) ou à proposer une oeuvre mi-amusante, mi-trash qui peut espérer passer la saison.
On a parlé déjà d’Angle Mort et Clignotant, de Tout de Suite (dans un registre un peu différent), de Daisy Mortem bien sûr et voilà qu’arrivent cette semaine le nouveau single des indispensables Vulves Assassines ainsi que le J’veux une glace fort sympathique de Cocoboy, featuring Lucile Richard. Mais pourquoi est-ce que la chanson française est en train de devenir un champ de foire pire que l’époque des Yéyés où les Chaussettes Noires et autres Patrick Hernandez/Topaloff rivalisaient d’idioties ?
Évidemment à cette question, pas de réponse. Il est probable que les facilités de composition offertes par les studios électroniques, la place prise par l’électro ET la viralité des titres permise par internet et les réseaux sociaux aient contribué à la prolifération de tels morceaux. Les titres se composent vite et se libèrent aussi vite sur la toile sans que cela demande un budget conséquent. Les internautes en sont friands et les classes bourgeoises qui écoutent de la musique (dans les centres urbains, en dansant) sont de plus en plus touchés et intéressés par des morceaux intelligents et qui agissent au second degré (entre Quotidien et l’Esprit Canal d’antan – restons intelligents, restons cyniques).
On assiste ainsi à la mise en ligne de plus en plus fréquente de morceaux ultra soignés et marrants MAIS SANS AUCUN CONTENU véritable à l’image de ce J’veux une glace , en parallèle de l’irruption de titres plus contestataires et révolutionnaires, AYANT UNE PORTEE POLITIQUE certaine comme le sont ceux des Vulves Assassines.
Le support comique et électro-trash devient ainsi un vecteur ambivalent de pure connerie snobinarde et faussement marrante, en même temps qu’un véhicule pour une contestation critique plus violente et volontairement brutale, beaucoup plus pertinente. Cela ne veut pas dire que tous les titres, par exemple, des Vulves Assassines (ce Tour de France plutôt moche le prouve) ont un intérêt mais qu’il faut savoir tout de même distinguer une pièce uppercut comme certains morceaux des Vulves ou de Daisy Mortem de musiques purement divertissantes qui pullulent désormais et n’ont aucun intérêt.
Pour revenir à lui, Philippe Katerine navigue allègrement entre les deux écoles en tant que pape absolu du genre, mais verse de plus en plus dans le camp des anecdotiques et des chaloupés décalés que dans celui des rebelles. Cela ne tient pas dans le caractère mécanique et stupide des compositions (qui lui n’a pas de genre) mais bien dans la portée globale des pièces et dans leur capacité à déranger un minimum l’ordre établi.
Est-ce qu’une chanson marrante peut-être une bonne chanson ? On y revient. La réponse est presque toujours NON. Joy Division nous en garde. Bien rares sont les chansons du genre qui passeront les années et il est probable que les meilleures (c’est-à-dire celles qui ont un sens et un contenu) seront périmées encore plus vite que les mauvaises. On peut donc continuer à s’amuser sans aucune pression et essayer de faire la révolution à partir de beats : ces chansons, aussi bonnes et trépidantes soient-elles, ne dureront que ce que durent les roses… Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas danser et sourire, mourir refrain aux lèvres mais tout de même savoir qu’on y sera jamais vraiment avec ça.
Une glace peut-être ?
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Très bon article M. Berton! Il est vrai qu’avec l’arrivée du son électro, on a eu une ribambelle de titres volontairement couillons et parodiques comme ceux d’Helmut Fritz, Bratisla Boys ou Discobitch. D’ailleurs, Helmut Fritz a sortie une resucée très opportuniste de son hit « Ça M’énerve » (2009) lors du confinement . Dans le rap d’ailleurs – avec les mêmes sonorités électro – on a l’équivalent avec PZK ou Fatal Bazooka.
L’article est sur les chansons comiques, mais le courant électro français a vu émergé des artistes dont les chansons sont vraiment très absurdes, avec des sujets légers ou poétiques. Je pense à Yelle (« Je Veux Te Voir »), Corine (« Il Fait Chaud »), Paradis et surtout Sébastien Tellier (« Pépito Bleu », « Cochon Ville », « A Ballet »), dont certaines paroles sont même volontairement… incompréhensibles.
Oh oui, toutes ces chansons. J’avoue que je n’ai jamais pris tout ça très au sérieux sur le plan musical. Ca s’écoute… une fois, deux pour montrer aux copains si le clip est drôle et puis plus rien.