On ne se souvient plus du nombre de têtes de celui de Lerne. On se souvient cependant qu’il fut battu par Hercule, qu’il signifie « serpent d’eau », fils de Typhon et d’Echidna (une sorte de femme serpent), créature pas très cool élevée par Héra sous un platane pas très loin de Nauplie. Ce n’est déjà pas si mal. L’hydre de Gelatine Turner partage avec son double antique son rapport à l’eau, à la mer en particulier, et se présente à nous sous la forme d’un mini EP en 3 chansons (à 3 têtes donc). Avant ce qu’on imagine un album à venir, les frères Audoynaud présentent ainsi ces trois morceaux qui s’assemblent parce qu’ils ne ressemblent ni tout à fait aux précédents, ni tout à fait à ceux qui viendront. Aurora est un joli collage évanescent, de voix, d’ombres et d’ambiances. Pierre Audoynaud s’y révèle, sans recours aux textes et au chant de son frère, dans toute sa poésie suggestive, proche d’un Death of The Neighbourhood dont on reparlera très bientôt pour l’art du flou et de la suggestion. On ne sait pas trop si l’instrumental suit ou précède l’orage. L’aurore est là, étrangement crépusculaire comme si elle cachait un soleil rouge plutôt qu’elle ne révélait un lever du jour radieux et estival.
Sur la plage de Royan est une chanson en forme de scène de plage. Dans le petit monde de Gelatine Turner, ce qui se voudrait sans doute la description d’une scène presque heureuse et solaire, ne se tient jamais très longtemps à distance d’une léthargie nostalgique, due au poids et au cadencement des mots. Le final est splendide avec une dernière minute en rupture électronique qui laisse vraiment un espace incroyable pour l’imagination. C’est sur cette poignée de secondes que la vision balnéaire prend corps et illumine ce qui s’est passé avant. L’avenir de Gelatine Turner se tient sans doute quelque part par là : dans ce jeu sur les séquences chantées, leur variété et la modulation des tempos, les silences et les passages non figuratifs. L’Hydre, le 3ème morceau et chanson-titre, est un peu plus classique et presque déjà moins surprenant par ce qu’on connaît du groupe mais aussi un peu plus léger, chaleureux et insouciant.
C’est dans cette prise de liberté, ce manque de sérieux fait de sable et d’eau salée que la vacance/les vacances séduit et que le groupe impose une nouvelle sérénité. Single estival à Noël, L’Hydre est peut-être bien le disque dont on avait besoin pour défier l’hiver. La pochette signée par Charlotte Audoynaud, la sœur graphiste et autre membre essentiel à l’équilibre des parties, résume comme à chaque fois tout ce qu’on entend à la perfection.
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