Ce que fait Iggy Pop n’est pas toujours très bon. Après, son disque de chansons françaises, était une très mauvaise idée et ses deux derniers albums étaient un peu paresseux et trop jazzy pour nous.
Sur Every Loser, l’ancien chanteur de The Stooges ne se cache plus. Accompagné par l’Amicale des Gros Bourrins Unis (un supergroupe génial avec des actuels ou ex- Red Hot, un Blink 182, un Pearl Jam, un Foo Fighters et les Jane Addiction‘s d’hier au quasi complet), Iggy Pop livre avec Every Loser un vrai album de rock punk mainstream américain, sonique et rentre-dedans. On peut déplorer que cela manque de fantaisie, de subtilité ou même d’engagement mais, pour un type de 75 ans qui a donné le meilleur de lui-même…. il y a 55 ans maintenant, ce disque est non seulement digne, noble mais presque ce qu’un vieux type comme lui peut envoyer de mieux.
Iggy Pop est vraiment le dernier survivant d’un demi-siècle de musique qui a disparu physiquement avec les morts de Lou Reed et de David Bowie. Son torse nu en serpillière en porte à peine les stigmates, mais Iggy Pop a enterré tous les types qui lui avaient tendu la main lorsqu’il était au plus mal. Ironie du sort, sur Every Loser, il les remplace tous un par un. Sur Frenzy, à l’ouverture, il se prend pour lui-même avec quarante ans de moins. Le son est lourd, brutal et le résultat proche de ce qu’on pourrait espérer aujourd’hui des Pixies s’ils n’avaient du plomb dans l’aile : du bruit et de la fureur. Il faut réécouter les Stooges pour se souvenir combien ce genre de tintamarre est essentiel, même si plus vraiment à la mode. Strung Out Johnny repose sur une superbe ligne de basse et nous alerte sur les dangers de la drogue.
First time, you do it with a friend
Second time, you do it in a bed
Third time, you can’t get enough
And your life gets all fucked up
All fucked up
You’re strung out Johnny (strung out Johnny, oh)
You’re strung out Johnny (strung out Johnny, oh)
On déconne bien sûr mais c’est une chouette chanson sur l’addiction et le milieu du punk US de ces années là, sur laquelle on croise les fantômes de Johnny Thunders et des Ramones. La voix de crooner de Pop sert le morceau à la perfection et marche encore mieux que lorsqu’il essaie d’imiter Lou Reed sur New Atlantis. Tout y est : les descriptions beat generation et l’espérance d’une Nouvelle Atlantis, les faux airs de Burroughs et le rythme du junky. Qui dit mieux ? On peut chantonner ce morceau là sous la douche et danser son salon comme si on était encore en 1999.
Modern Day Rip Off est excellent et porté par des guitares bien dégoulinantes et baveuses comme on les déteste. La voix d’Iggy Pop est moins souple que par le passé mais affirme sa parenté dans l’engagement avec le hard rock qu’il a aidé à inventer, lorsque le morceau s’engage dans une autoroute interminable et électrique. Iggy Pop est le type qui met en relief les limites évidentes du genre, celui qui joue avec la ligne de touche et n’hésite pas à mettre le pied dehors pour le simple plaisir de risquer l’expulsion. Alterner un coup sur la tête et une guimauve tout aussi caricaturale (Morning Show) est le privilège des grands enfants et des jmenfoutistes, mais quand il y a de la mélodie derrière et une voix qui a (ré)veillé les morts, on peut y trouver son compte. Le clin d’oeil à Andy Warhol et John Cale sur The News for Andy est juste bizarre mais pas hors de propos, tandis que le plagiat de Blink 182 sur Neo Punk est juste hilarant et exceptionnel. La chanson est là encore assez attendue mais le texte presque aussi solide que celui des Part Time Punks de Television Personalities sur le même sujet des gens qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas.
Le disque se prolonge de la meilleure des façons avec un All Way Down régressif, bien gras et social. Les punchlines tombent à l’image de celle-ci :
The Gods in Heaven have gold
The rest of us just get old
On vous laisse y réfléchir. Cette fois, Iggy Pop fait du Midnight Oil au ralenti, avec une rythmique qui pèse une tonne et 300 ans au compteur. Le chant est un peu poisseux lui-même mais c’est clairement l’intention qui compte. Re-belote sur la charge qui suit (Comments), sur l’économie digitale et les réseaux sociaux. On voit maintenant pourquoi Pop est allé faire les chœurs chez Morrissey : c’est méchant et lucide aussi, un peu ancien combattant sur les morts, mais là encore, la mélodie est plutôt pop et séduisante et l’on peut comprendre l’agacement et l’incompréhension du bonhomme pour cette chienlit influenceuse.
Sans doute est-ce qu’il manquait un peu de matériau pour boucler ça correctement. Il faut avouer que My Animus Interlude ne sert pas à grand chose et que My Regency n’est peut-être pas la plus grande chanson du disque. Mais terminer avec le F*** Word tout du long est quand même assez sympathique.
Fuck the regency, fuck the regency, fuck the regency up
Fuck the regency, Fuck the regency, Fuck the regency up
Le texte est assez hermétique et intéressant mais les arrangements diluent le propos et nous coupent d’un morceau qui aurait du être plus ramassé et énergique.
Ceci ne suffit pas à nous gâcher un plaisir qui n’a rien de coupable pour l’album d’un dinosaure désormais sans dents mais qui a encore du mordant. On peut se souvenir avec Every Loser que le rock US est aussi bâti sur cet équilibre des mélodies et des guitares envahissantes. Le dernier disque d’Iggy Pop évite les interprétations révisionnistes qui voudraient faire de tout cet héritage un modèle de pureté et d’élégance. Tant qu’il y a de la vie, il y aura du déchet. C’est ça l’essence du rock US d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
02. Strung Out Johnny
03. New Atlantis
04. Modern Day Rip Off
05. Morning Show
06. The News For Andy
07. Neo Punk
08. All The Way Down
09. Comments
10. My Animus Interlude
11. The Regency