La Luz / La Luz
[Hardly Art Records]

9.1 Note de l'auteur
9.1

La Luz - La LuzOn craignait sérieusement après leur précédent essai Floating Features que la formule des filles de La Luz ne s’essouffle. Le surf rock a des limites que la raison ignore. On pensait que les Quatre Fantastiques (devenues trois avec le départ de Marian Li Pino) se heurteraient à l’écueil de la redite et du déjà vu et que ce nouvel album éponyme pourrait bien être le début d’un désintérêt (plus que désamour) futur. Bien au contraire, La Luz (le disque) marque un remarquable pas en avant dans l’évolution du groupe qui réussit avec brio ici, et dans la longueur (12 titres), à vivifier sa formule et à produire ce qui restera peut-être son album le plus abouti et le plus marquant.

Les trois femmes se sont retrouvées autour des compositions de leur chanteuse et leader Shana Cleveland, avec à leurs côtés un nouveau producteur, Adrian Younge qu’il faut bien tenir pour responsable de cette splendide rénovation du son qui agit ici. Younge est issu du hip-hop, de la soul et du jazz. On ne lui connaît pas de titres de gloire en particulier mais il se raconte qu’il a su tirer le meilleur parti d’un groupe resserré et qui avait conscience, crise aidant, d’être plus proche que jamais. L’apport de Younge, par delà la liberté qu’il a donnée aux filles, semble d’avoir commandé une production très simple (peu de réverbs et d’effets en tous genres) mais aussi beaucoup joué sur la mise en avant des basses. Le formidable travail de Lena Simon à l’instrument saute aux oreilles dès l’entame, ce In The Country, qui éblouit d’emblée par sa puissance, sa sérénité country rock et son inventivité. D’une façon générale, les tempos ont été ralentis. Cleveland a quitté la ville pour la campagne et cela a, semble-t-il, représenté au fil du temps un changement majeur dans son rythme personnel et ce qu’elle souhaite exprimer. Les chansons de La Luz étaient jadis plus abstraites et moins contemplatives. Elles étaient plus rapides et moins susceptibles de poser leur regard sur les choses. Les nouvelles livraisons prennent leur temps, contemplent le réel, racontent de petites histoires intimes et de proximité et se mettent à l’écoute d’une sorte de fantastique domestique qui intrigue et s’infiltre pour conférer un vrai caractère original aux morceaux.

In The Country est sublimé par des harmonies vocales qui frôlent la perfection. On mesure le chemin parcouru sur l’excellent In The Pines qui suit : entre l’entame épatante, le clavier psychédélique, on ressent la vibe bourdonnante d’hier et toute la technique du jeu de basse de Simon. La ligne de basse est formidable et Cleveland n’a jamais aussi bien chanté, modulant vers le haut et le bas comme on descendrait un escalier céleste. La construction des morceaux est réellement époustouflante de maîtrise, pleine d’idées et de renouvellements. L’album travaille le plus souvent en mid-tempo et semble évoluer dans un mouchoir de poche. Les entames sont souvent trompeuses, semblant installer la pièce sur un rythme et une allure qui sont déjouées par la suite. Watching Cartoons est une foutue merveille sur la solitude et la féminité, le temps qui passe et que l’on perd. Le Wurtlitzer d’Alice Sandhal est placé juste où il faut et l’expression de la mélancolie par Cleveland quelque chose de précieux et de profondément touchant.

Le groupe navigue toujours quelque part entre la chanson des années 70 et un rock psychédélique qui serait né dans les mêmes eaux. C’est à moitié planant et à moitié sentimental. Le doo-wap alangui de Oh, Blue n’est pas ce qu’on préfère chez elle mais on ressent à l’écoute une chaleur et une douceur qui suffisent à calmer (ou à stimuler, au contraire) nos ardeurs. On ne sait pas au juste dans quelles conditions Shana Cleveland a écrit ses textes et posé le canevas de ces chansons. Notre dernière interview avec elle date un peu maintenant mais elle nous avait appris à ne pas prendre nos désirs pour des réalités. On imagine toujours la jeune femme comme un coeur à prendre, une girl next door progressiste et sublime, un peu abandonnée en pyjama et chaussettes, en train de guetter le retour ou l’arrivée de Clark Kent ou de Mike Delfino par la fenêtre. C’est idiot mais il y a chez elle, dans sa façon d’écrire et de chanter, qui fait immanquablement penser à l’amour courtois et à un romantisme étourdi. Les chansons d’amour qui figurent sur le disque ne nous détrompent pas tout à fait entre I Wont Hesitate qui ressemble à un rêve de petite fille perdue et le plus incarné (mais tout aussi bucolique) Lazy Eyes and Dune, l’expression de l’amour chez La Luz nous semble toujours renvoyer à un univers vaguement immature et idéalisé qui nous ramène à l’âge adolescent de tous les possibles. A la manière d’une Lana Del Rey, mais avec une matérialité et un côté sympathique infiniment supérieur, Cleveland fascine et conserve, année après année, une fraîcheur presque irréelle qui est particulièrement séduisante.

Ce sentimentalisme latent (le groupe de filles, la maison isolée, la croyance aux fantômes) n’empêche pas La Luz de galoper et de déployer aussi une belle puissance psychédélique. C’est le cas sur le solide Metal Man, un morceau épique et tout en force qui convoque un synthé spatial et des guitares qui grésillent. La production ajoute cela des petits suppléments d’âme qui enrichissent l’ensemble et donnent au tout une texture tout à fait précieuse. Lazy Eyes and Dune est une pépite d’orfèvrerie et on retrouve le même soin et la même attention portée au détail sur le canaille et semi-acoustique Down The Street. L’introduction se prolonge au-delà de ce qu’on attendrait à travers un fil de percussions qui donne au titre un beau sentiment de continuité. Les arrangements singent le mouvement de la chanteuse qui descend la rue principale (?). On sent le mélange de fierté (elle rejoint son mec), de flambe (on imagine qu’elle s’est habillée pour l’occasion), de séduction sensuelle et en même temps l’incertitude face à la possibilité qu’il ne soit pas là. Le final ne dit rien et se contente de nous laisser superbement en plan. C’est du grand art avec de tous petits moyens.

On peut s’extasier sans mal sur la belle simplicité classique d’I Wont Hesitate mais il faudra en garder un peu pour la majesté d’un Here On Earth qui est probablement le point d’orgue du disque. Le titre est miraculeux dans la jonction qu’il propose des enjeux intimes et cosmiques. Ca regarde à deux centimètres et au loin en même temps. La basse à l’arrière-plan est splendide et les choeurs à l’unisson. On ne sait jamais si Cleveland chante en pensant à un gars ou si elle ne fait pas le spectacle en célébrant plutôt la fierté d’appartenir à ses copines. Il est possible que le spectacle ne soit donné que pour nous faire rêver et languir d’amour. La Luz fait penser aux étincelles que nous tiraient les filles Lisbon dans Virgin Suicides avant de mourir les unes après les autres. Est-ce que tout ceci existe bel et bien ? Oui, parce que cela se passe juste à côté. Mais peut-être pas car on est certains de rien. On vendrait tous nos biens matériels pour l’excellent Spider House, l’instru qui conclut de façon merveilleuse cet album impeccable et qu’on peut considérer, à côté du premier peut-être, comme le meilleur disque du groupe. C’est peu dire qu’on adore.

La Luz réussit ici à prolonger avec une intelligence exceptionnelle un travail sur un genre qu’on croyait plus petit que ça et que les filles étendent à l’infini disque après disque. On vous passe les encouragements girl power mais si on était une femme ou un simple sympathisant du genre, on se ruerait sur ce groupe comme si on venait de dénicher la nouvelle Patti Smith. Elle est basanée, se lave probablement un peu plus souvent les cheveux et sort en bandes. La Luz, voilà l’avenir !

Tracklist
01. In the Country
02. The Pines
03. Watching Cartoons
04. Oh, Blue
05. Goodbye Ghost
06. Yuba Rot
07. Metal Man
08. Lazy Eyes and Dune
09. Down The Street
10. I Won’t Hesitate
11. Here On Earth
12. Spider House
Liens

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Stabat Mater Fabulosa : Shana Cleveland et les gentils fantômes

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