Découvert sur la compil de quarantaine proposée au printemps par le label Inner Ear Records, le jeune crooner athénien Johnny Labelle avait déjà un album à son actif, Cold Fruit, qu’on avait pas eu la chance d’écouter. Avec ce deuxième essai remarquable, XVIII, il frappe un grand coup et nous offre l’une des dernières belles surprises de cette année qui, à défaut de l’être dans d’autres domaines, aura été radieuse pour les musiques indépendantes.
Dark, synthétique et expérimentale, la musique de Johnny Labelle se signale d’emblée par sa profondeur et son intensité. La voix du jeune homme fait immanquablement penser à celle de feu Scott Walker, tant elle prend plaisir à explorer sa propre gravité solennelle. The Dolphins, le premier titre du disque, donne une idée de toutes les qualités qui sont déclinées ici : complexité des arrangements, précision mélodique, extravagance jazz et classe chevillée au corps. Johnny Labelle chante comme on tomberait dans un puits par un soir de pleine lune : il s’agrippe aux parois, caresse la vie qui lui reste et expire au fond du trou. Doppelganger est chaud comme du Sinatra, léger comme une mise en scène de Lee Hazlewood mais ne pose jamais au rétro. Il y a une modernité dans l’écriture de synthé ambient qui hypnotise et procure la sensation d’être confronté à une musique infiniment contemporaine et innovante. XVIII est un disque sombre et habité, un disque romantique et qui fait frissonner comme si on croisait le fantôme de Peter Murphy dans sa cuisine après un soir de réveillon. On peut trouver AK un poil affecté et précieux mais Johnny Labelle ne se contente pas de dérouler une formule vaguement gothique : il tutoie Joy Division et son the Eternal au ralenti sur le solaire et magnifique In The Sun, avant de nous servir avec Greek Dark Age, une fantaisie crépusculaire hellénique dont on n’ose pas imaginer la filiation.
Il faudra qu’on nous explique un jour pourquoi ces types font ce genre de musique. Est-ce l’effet FMI ou la succession des plans de soutien européens qui a précipité la Grèce dans ce nouvel âge d’or cold wave ? Avec Johnny Labelle, on n’ira plus jamais se dorer la pilule au soleil de la même manière. Le grand morceau emblématique du disque s’intitule Beginning of the End. On y entend une sorte de Jay-Jay Johanson d’outre-tombe, échappé d’une crypte berlinoise, entonner comme pour un chant de Noël : « It’s the beginning of the end/ Perhaps the end of the beginning/In twenty-thousand years from now/
The earth will be a remnant/ I had a dream/ You were with me/ There is no ball & chain/ So let’s keep it up ». Le morceau est somptueux. C’est ce foutu dernier morceau qui vous fout en l’air tous les tops de fin d’année, celui qui vous rappelle que Jarvis Cocker était génial sur Dogs are Everywhere et que le Tilt de Scott Walker était le meilleur album de l’année 1995.
Qu’il chante la messe (Visceral), soit prisonnier dans une grotte (Disillusionement) ou noyé au fond de l’océan (Poseidonia), Johnny Labelle est sans conteste LA PLUS BELLE VOIX de l’année, un miracle de virilité soyeuse et poilue qui, par sa simplicité et son évidence, s’impose comme la grande découverte de décembre. On ne sait même pas ce que ce XVIII signifie. Grand disque peut-être. Monument aux morts. Mausolée. Tombeau. Si l’on venait à ne pas passer l’année, on veillera à jouer le disque aux funérailles.
02. Doppelganger
03. AK
04. In The Sun
05. Greek Dark Age
06. Beginning of the End
07. Visceral
08. Disillusionnement
09. Poseidonia
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