Voici ce à quoi une compilation devrait toujours ressembler : un maître d’œuvre exigeant, une sélection d’artistes soignée et qualitative, un fil rouge intelligent et qui justifie l’assemblage et, évidemment, des titres qui s’écoutent. C’est exactement ce à quoi on fait face avec cette belle collection Art For All, assemblée par le taulier des Swell Maps 2nde génération et ancien Television Personalities, Jowe Head. On ne parle pas assez du bonhomme qui entre ses albums (comme Widdershins, qu’on avait chroniqué), ses activités scéniques (on avait évoqué son passage à Paris en 2020), ses peintures, ses livres, multiplie les projets et les initiatives dans la grande tradition du punk DIY, c’est-à-dire à une échelle infra-indépendante qui passe souvent sous les radars critiques. Cela n’empêche pas les fidèles de se procurer ses « produits » et de se délecter de ses diverses créations, de croiser sa route sur scène ou… de se tenir à distance, la profusion pouvant amener parfois à des résultats moins satisfaisants.
Architecte de ce Various Artists in Art For All le concept est simple (réunir des chansons sur l’art et les artistes), Jowe Head établit un casting sans faute, mêlant des artistes confirmés plus ou moins exposés comme Luke Haines (qui fait partie des nouveaux Swell Maps sur scène), les BMX Bandits (dont on retrouvera le dernier album dans nos tops de l’année d’ici quelques semaines) ou encore les Exploding Flowers, et des groupes ou artistes qu’on connaît moins comme The Callas, collectif qui a collaboré avec pas mal de monde et croisé la route de Lee Ranaldo, du Wedding Present ou de Grinderman, le Canadien Jeremy Gluck ou encore les mystérieux Seven Headed Raven dont on est pas très sûrs qu’ils existent vraiment. Le résultat, puisque c’est ça qui compte, est excellent et se réécoute à l’envie (autant dire que ce n’est pas si fréquent qu’on ait envie de réécouter plusieurs fois une compilation dans l’ordre!). Le disque commence par l’excellent Caravaggio was a punk rocker de The Callas, qui présente le peintre du XVIe siècle finissant comme l’équivalent d’un Rimbaud ou d’un Mark E. Smith de la peinture. La transformation du peintre en figure pop fonctionne parfaitement, soutenue par une rythmique endiablée et une énergie communicative. On enchaîne à très haut niveau avec l’un des meilleurs titres des 18, le portrait fabuleux de l’artiste japonaise (95 ans), Yayoi Kusama, par les Woog Riots. La reine des pois et des couleurs flashy est sublimée dans cette chansonnette pop qui invite à se précipiter sur son travail d’avant-garde et à rejoindre les millions de fans qui la célèbrent de par le monde. Le titre est joyeux, lumineux et procure un plaisir enfantin qui n’est pas sans rappeler l’effet produit par l’art de la vieille dame.
On ne va pas commenter chaque titre un par un mais Art For All ne faiblit jamais vraiment alternant les titres audacieux et expérimentaux à l’image du nébuleux et synthétique Negative Space de Jowe Head ou l’industriel et formidable N°61 (for Mark Rothko) de Jeremy Gluck & Don Tyler, et d’excellents pièces pop comme le très chouette Pauline Boty – la reine du pop art anglais – de Luke Haines qui revient par la suite avec un plus personnel et très Auteurs, Garden Aeroplane Trap. Si vous n’en avez pas assez (on parle ici d’excellents titres), on veut bien dire du bien des NoMen qui entonnent un très Fallien (cf Mark E. Smith etc) Deux Marcels. L’atrabilaire Mancunien n’aurait pas fait moins bien et ce n’est pas un petit compliment. Ce titre est fabuleux. On pourra aussi jeter une oreille bien sûr au pétillant Ferdinand’s Cathedral, miniature merveilleuse d’un Duglas T. Stewart (BMX Bandits) qui marche sur l’eau et ferait passer Jason Lytle et Neil Hannon pour de gros balourds. On est un peu gêné de ne pas citer Terry Edwards qui rend un hommage cuivré à la sculptrice abstraite anglaise Barbara Hepworth et à son musée en Cornouailles. Tant qu’on y est, autant dire tout le bien qu’on pense des fameux Seven Headed Raven qui nous honore d’un titre folk médiéval fascinant et d’une élégance redoutable. Celui-ci contraste magnifiquement avec le plus anorak pop Lenora de sPeW, dédié à la peintre Leonora Carrington, génie surréaliste s’il en est (et accessoirement épouse du plus connu Max Ernst).
On l’aura compris les chansons sont excellentes et permettent aussi de découvrir des peintres et artistes qu’on ne connaissait pas toutes et tous. Jowe Head nous invite ainsi non seulement à un fabuleux voyage musical mais également à ouvrir nos yeux et notre esprit à une avant-garde artistique porteuse de valeurs universelles, magiques et fantaisistes. Si ce n’est pas là le sens ultime de toute démarche indépendante, on s’est trompés d’adresse et de vie depuis cinquante ans. On ne peut que vous conseiller de glisser cette compilation (en CD et numérique) au pied du sapin. C’est une merveille.
02. Woog Riots Yayoi Kusama
03. Jowe Head Negative Space
04. Luke Haines Pauline Boty
05. Jeremy Gluck & Don Tyler N°61 (for Mark Rothko)
06. The NoMen Deux Marcels
07. Heather Leigh & Jowe Head feat. Future Pilot AKA Mister Blake’s Toy Shop
08. Seven Headed Raven : The Fairy Painter’s Master Stroke
09. sPeW Leonora
10. Luke Haines Garden Aeroplane Trap
11. BMX Bandits Ferdinand’s Cathedral
12. Jowe Head Blues For Henry Darger
13. Exploding Flowers A Colour Box (For Len Lye)
14. Terry Edwards Hepworth
15. Jowe Head Waltz for Kurt Schwitter
16. Luke Haines City Pub 3pm by The Station
17. Woog Riots Beuys
18. Jowe Head Garden of Earthly Delights